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congru, pour se venger, que de faire aimer la reine par son valet ; ce valet, tombé dans les cuisines par paresse, devient d’un jour à l’autre un grand ministre ; don Salluste a la naïveté de s’exposer à son pouvoir ; Ruy Blas a la naïveté de l’épargner ; à la fin, cependant, trop tard, il le tue, alors que cette reine, qui tout à l’heure ne pouvait se mettre à sa fenêtre, s’est compromise en venant le rejoindre, la nuit, dans un faubourg. Barberousse a un frère naturel, un burgrave, qui naguère l’a poignardé pour l’amour d’une jeune fille corse ;.. mais faut-il, après tant de rêves, raconter ce cauchemar ? En voilà plus qu’il ne faut sans doute pour montrer de quelle manière ces idées pures, ces monstres et ces masques sont agités par la fantaisie de l’auteur.

Le spectacle de cette action, après des tragédies qui n’en offraient guère, a pu amuser les yeux. De même, au commencement du XVIIe siècle, après qu’on s’était lassé de Jodelle et de son imitation du théâtre antique, on avait goûté les tragédies irrégulières, les comédies romanesques de Hardy, de Scudéry, de Scarron, imitées du théâtre espagnol. C’est contre ce libertinage qu’avait prévalu la raison de Corneille ; c’est ce libertinage dont Hugo, prétendu successeur de Corneille, donnait derechef l’exemple. Quoi de surprenant ? Les mêmes causes produisent les mêmes effets. Hugo, d’ailleurs, par sa nature et par son éducation, était disposé à faire cette restauration qui devait alors être applaudie. Entre son premier drame, Inès de Castro, écrit par un gamin de quinze ans, et ce dernier, Torquemada, publié par un octogénaire, lesquels ont le plus chance de rester ? Hernani et Ruy Blas. C’est dans les sujets espagnols que ce génie, qui procède de l’espagnol, aura réussi le mieux. Il se réclamait de Corneille ; mais qui donc le réclame ? Les maîtres de Scarron.

Cette action, d’ailleurs, si compliquée qu’elle soit, est puérile, et ses complications se répètent. Cromwell et Carlos attendent pareillement leurs assassins : Barberousse, comme l’un et l’autre, discourt sur la politique ; il réprimande les burgraves comme Ruy Blas invective les ministres, comme Saint-Vallier ou Nangis apostrophe François Ier ou Louis XIII ; Catarina et Régina sont sauvées par des narcotiques ; doña Maria vient au secours de Ruy Blas comme Marion au secours de Didier ; Triboulet tue sa fille en croyant frapper un ennemi ; de même Lucrèce Borgia, son fils ; Marie Tudor, son favori ; Lucrèce et la Tisbe sont frappées par celui qu’elles aiment. Hernani, Gennaro, Ruy Blas, Guanhumara périssent plus ou moins volontairement par le poison.

Aussi, pour les besoins de cette action, quelques types suffisent : le jeune premier fatal, Didier. Hernani, Ruy Blas ; le jeune premier ingénu, Gennaro, Rodolfo, Otbert ; l’amante, Marion Delorme, toute proche de doña Sol, qui n’est pas loin de doña Maria, laquelle donne la main à Catarina, et celle-ci à Jane, celle-ci à Blanche, à Régina ;