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départemens le nouveau régime. Mais ce qui contribua le plus à me discréditer dans les hauts lieux, ce fut, d’une part, les liaisons que je conservai avec plusieurs des serviteurs du régime impérial, entre autres M. de Bassano et M. Regnault de Saint-Jean-d’Angély, et, de l’autre, les liaisons que je formai avec les membres des deux chambres qui pensaient comme moi, avec Tracy, Lanjuinais, Boissv d’Anglas, Pontécoulant, Malleville, Lenoir-Laroche, dans la chambre des pairs ; avec Dupont de l’Eure, Gallois, Ganilh, Flaugergues, Raynouard, dans la chambre des députés.

Je ne pris, néanmoins, aucune part, aux discussions qui signalèrent la première session du parlement français et qui portèrent principalement sur la loi de la presse présentée par l’abbé de Montesquiou ; sur le système de finances de l’abbé Louis, devenu, ou plutôt resté le baron Louis ; sur l’affaire du général Exelmans et sur la restitution des biens des émigrés. Il ne tiendrait qu’à moi d’en faire honneur à ma modestie, de dire que n’ayant pas voix délibérative à la chambre dont je faisais partie, c’eût été présomption de ma part d’y prendre la parole uniquement pour être entendu, mais j’aime mieux convenir de bonne foi que la timidité fut pour beaucoup dans mon silence, et, comme il arrive presque toujours, l’amour-propre pour beaucoup dans ma timidité.

J’avais, d’ailleurs, autre chose à penser et meilleure excuse. C’était le moment où se préparait le grand événement de ma vie, celui, qui a décidé de ma destinée pour ce monde et, je l’espère, pour un monde meilleur.

Mme de Staël, exilée dix ans par l’empereur, échappée péniblement à sa tyrannie en traversant toute l’Europe, de Genève à Moscou, de Moscou à Stockholm, reçue triomphalement en Angleterre, était rentrée en France peu après le retour de Louis XVIII ; elle y était entrée accompagnée de son fils, de sa fille, de M. Rocca, son second mari, et de Wilhelm Schlegel, à cette époque l’une des gloires de la littérature allemande. Elle avait été fort liée avec ma mère, ainsi que je l’ai déjà rappelé plus d’une fois ; enfant, je l’avais connue ; je ne tardai pas à lui être présenté.

Tout est, dit désormais sur Mme de Staël. Pleine justice lui est rendue, les hommes éclairés, les hommes honnêtes de tous les partis, ce chœur des gens de bien et de bon sens qui devance la postérité. et prépare ses arrêts, s’accordent à reconnaître, dans l’auteur de tant d’écrits qui vivront autant que notre langue, la générosité du caractère, l’élévation des sentimens, la force, l’étendue et la finesse de l’esprit, une rare diversité de dons naturels et de talens acquis, sans parler de l’incomparable éclat de sa conversation. Je n’ajouterai rien à tout ceci, et, de vrai, qu’y ajouterais-je ? Mme de Staël a plutôt nui quelque peu à la mémoire de son illustre père