Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 74.djvu/566

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

discrétion, l’art des nuances poussés à leurs dernières limites. Peut-être, dans leur horreur pour les effets vulgaires ou violens, ces harmonistes sont-ils allés trop loin. N’importe, après une symphonie de Haydn ou de Mozart, il n’y a rien de plus rythmé, de plus harmonieux, de plus chantant que le palais Ruccellai à Florence, le palais des ducs de Montefeltro à Urbin, le palais de la chancellerie à Rome.

Eh bien ! l’ardeur avec laquelle les architectes gothiques ont cherché à plier la pierre à leurs caprices, l’habileté avec laquelle ils ont pétri les moellons comme on pétrit une cire molle, ce parti-pris de violer toutes les lois de la statique pour donner un corps à leurs rêves audacieux, cette curiosité sans cesse en éveil, ont cependant produit un résultat fécond et qu’il était impossible de prévoir : à force de s’exercer à une telle gymnastique intellectuelle, l’art septentrional est parvenu à réaliser dans les arts d’imitation ce qu’il avait réalisé dans un art aussi abstrait que l’architecture, c’est-à-dire à rivaliser avec la nature vivante dans ses combinaisons et ses surprises infinies. La tradition hiératique, les formules rigides du style roman font place à un style d’une souplesse relative ; le charme est rompu, et les regards, si longtemps fermés sur la réalité, découvrent peu à peu les formes véritables des choses et des êtres ; la main apprend à les rendre avec une fidélité de plus en plus rigoureuse.

L’art qui éprouva le premier les effets de cette révolution fut la sculpture, devenue, grâce au goût pour la profusion des ornemens, l’auxiliaire indispensable de l’architecture. Il serait superflu, après les publications des dernières années, après l’ouverture du musée de moulages du Trocadéro, d’insister sur ce qu’il y avait de vie, de jeunesse et de sève, de fécondes et hautes aspirations dans l’œuvre de nos grands statuaires du XIIIe et du XIVe siècle, de rappeler la douce chaleur qui anime tout ce peuple de statues à Notre-Dame de Paris, dans les cathédrales de Reims, de Chartres, de Strasbourg, le jet superbe des draperies, les expressions tour à tour nobles ou touchantes, ou encore le sentiment si profond de la forme et la douce ironie qui distinguent les statues de la fameuse maison des musiciens, à Reims.

La période dont nous nous occupons correspond à la seconde phase de cette renaissance de la sculpture septentrionale. La recherche du mouvement, de la vie et de l’ampleur l’emporte sur le souci de la noblesse ou de la gravité. Aux figures traditionnelles des cathédrales, ces saints et ces saintes, si simplement drapés dans leurs manteaux de pierre, si calmes, si sereins, détachés des choses d’ici-bas et goûtant par avance les félicités du paradis,