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qui consiste dans leur réduction en combinaisons plus simples. Dans l’état de repos, ces deux travaux moléculaires, accompagnés de courans électriques inverses, existent simultanément et se font à peu près équilibre. En ce cas, il n’y a rien, dans la conscience même, qu’un état d’équilibre et de calme vital, auquel est attaché un vague sentiment de repos et de bien-être. Un agent extérieur, son, lumière, choc, vient-il exciter un nerf, l’équilibre rompu produit un mouvement de dépense nerveuse, qui excite un mouvement de réparation simultanée comme l’eau qui sort d’un siphon appelle à sa place l’eau qui y monte.

Maintenant, quelle est la relation des deux espèces de travail nerveux avec la peine et la douleur ? — C’est ici que la divergence se produit entre les physiologistes. Essayons d’éclaircir la question en nous reportant aux nécessités de la vie même, qui n’ont pu manquer d’agir dans la sélection naturelle.

Les deux travaux de réparation et de dépense sont également nécessaires à la vie ; de plus, ils doivent être proportionnés l’un à l’autre pour que la vie subsiste. La réparation nerveuse, qui accumule la force, a toujours pour résultat et pour objet l’exercice, qui dépense la force. Dans la sélection naturelle, l’animal ne peut pas se contenter de réparer son système nerveux ; il faut qu’il le mette en usage pour chercher sa nourriture et se défendre, il faut qu’il se dépense pour se conserver. S’il en est ainsi, peut-on admettre avec Léon Dumont que l’accumulation de la force, son « emmagasinement dans le nerf » soit ce qui seul cause le plaisir ? Tout fonctionnement nerveux, dit Léon Dumont, est une dépense de force ; « comment la dépense, qui est une perte, pourrait-elle produire le plaisir ? » Ce dernier doit avoir pour cause, au contraire, une augmentation de force, « une réception de mouvement[1]. » Cette théorie vient de ce que Léon Dumont conçoit mal le rapport des deux travaux moléculaires. Le travail visible de dépense, — marcher, parler, regarder, écouter, etc., — est sans doute, sur le moment même, une perte de force motrice ; mais d’abord, nous venons de voir que, dans l’organisme suffisamment nourri, il y a réparation du nerf par la nourriture à mesure qu’il s’use par l’exercice ; le simple repos suffit aussi à le réparer : il n’y a donc point ici perte sèche et définitive. De plus, l’exercice même produit l’habitude en diminuant les résistances et les obstacles : le musicien s’habitue aux mouvemens nécessaires pour l’exécution. Enfin, quand l’exercice est modéré et agréable, il accroît et nourrit l’organe au lieu de l’affaiblir. Faute d’usage, au contraire, un organe s’atrophie, comme l’œil de la taupe, celui de certains rats des cavernes

  1. Théorie scientifique de la sensibilité, ch. IV.