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placé entre ces frères ennemis, ne sait pas toujours de quel côté il doit se tourner, comment il doit parler et agir pour rester en équilibre. N’importe, ministères opportunistes, radicaux, républicains de toutes nuances se retrouvent et se réconcilient au besoin dans quelque vote de passion ou de menace. Ils vont devant eux, tout pleins de l’esprit de parti, sans tenir compte des intérêts ou des vœux du pays, des plus anciennes garanties libérales, des droits les plus simples, et ils ne s’aperçoivent pas que cette triste politique est exactement l’opposé de la politique d’une nation qui a la généreuse et légitime ambition de se relever de ses désastres, de reprendre sa place et son rôle dans le monde.

Que cette politique des dernières années, qui n’a été qu’une déviation incessante, obstinée de la vraie politique de la France, n’ait point réussi, le fait est assez éclatant. Au premier abord, la conséquence semblerait être qu’il y aurait tout au moins à réfléchir. Bien au contraire : au lieu de s’avouer leurs mécomptes et d’en chercher les causes, au lieu de s’éclairer d’une expérience évidemment malheureuse et de se modérer, les républicains n’ont imaginé rien de mieux que d’accentuer ce qu’il y a de plus exclusif dans leurs passions, à rester plus que jamais une domination, une exploitation organisée de parti. C’est l’histoire de tous les jours : qu’ils s’occupent de finances ou d’industrie, des grèves ou des chemins de fer, de l’enseignement ou de l’armée, ils n’ont qu’une idée fixe, qu’ils laissent percer dans leurs discussions, qu’ils traduisent dans leurs votes. Ils ne se préoccupent guère des intérêts généraux du pays, qu’ils sacrifient le plus souvent pour le plaisir de mettre leurs fantaisies dans un ordre du jour. Ils songent avant tout à régner sans partage, par l’exclusion et l’élimination de tout ce qui les gêne. Les républicains ont peut-être beaucoup oublié depuis qu’ils sont arrivés au pouvoir, ils n’ont à coup sûr rien appris. Ils ont surtout oublié ou renié les traditions libérales, qui sont l’honneur et la garantie d’une société éclairée ; ils n’ont pas appris que les majorités n’étaient que strictement justes et prévoyantes en sachant respecter les minorités, en leur laissant leurs droits et leur place dans la direction des affaires publiques. Ils l’ont montré plus d’une fois dans des circonstances toutes récentes, — et à l’occasion du choix des membres de la commission du budget, et à propos de cette loi sur l’enseignement qui occupe encore le sénat, dont l’importance et le caractère se dévoilent de plus en plus à mesure que le débat se prolonge.

Certes, on en conviendra, s’il y avait une question devant laquelle l’esprit de parti et d’exclusion dût pour un instant s’effacer, c’était bien cette question des finances et du budget qui intéresse si vivement le pays tout entier. Les circonstances sont, en effet, assez exceptionnelles. Le budget que le gouvernement vient de porter aux cham-