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d’hui une autre paix tout autant en péril, c’est cette paix sociale qui est visiblement ébranlée un peu partout, qui, en ce moment même, vient d’être si cruellement, si tragiquement troublée en Belgique.

Il n’y a point évidemment à s’y tromper, ce serait même un danger de plus de chercher à se faire illusion. La plupart des pays sont envahis par l’esprit d’anarchie qui se répand en propagandes, qui s’efforce de gagner les multitudes, qui prend à tâche de fanatiser, d’égarer les populations ouvrières en les poussant contre ce qu’il appelle le capital, contre le patronat, contre le bourgeois industrieux et arrivé à la fortune. — La Hollande, la paisible Hollande elle-même, avait récemment ses réunions socialistes, où l’on s’excitait aux manifestations violentes, où l’on vantait, comme un exemple à suivre, les pillages des magasins de Londres. L’Angleterre, précisément, parce qu’elle est la grande nation industrielle, a depuis longtemps ses associations organisées pour la lutte, et elle est exposée de temps à autre à de redoutables secousses. La France a en et a encore ses grèves, — elle pourra en avoir de plus sérieuses à la faveur des moyens qu’on a mis à la disposition des agitateurs. L’Allemagne a ses socialistes, ses anarchistes qui arrivent jusqu’au parlement, que M. de Bismarck se flatte de combattre et d’annihiler par son socialisme d’état. Là où fermentent les passions échauffées par les propagandes démoralisatrices, tout est possible. Tous les pays peuvent avoir leurs crises ; mais nulle part jusqu’ici, il faut l’avouer, il n’y avait eu, depuis longtemps du moins, une explosion comme celle qui ravage et désole en ce moment la Belgique. Ce n’est plus une question de salaires ou de travail, une contestation entre patrons et ouvriers ; c’est la guerre sociale dans toute sa crudité sinistre l’insurrection famélique et brutale, à laquelle le gouvernement n’a d’autre ressource que d’opposer la force. C’est tout le caractère de la lutte qui vient de s’engager en Belgique, elle n’en a pas d’autre. Les grèves qui ont éclaté sur certains points, le plus souvent sans raison sérieuse, et qui se sont propagées aussitôt, ne sont manifestement qu’un incident. Les grévistes ne sont que des instrumens, des soldats ramassés un peu partout par des meneurs anarchistes et révolutionnaires qui les conduisent purement et simplement à la destruction.

Le mouvement a commencé dans le bassin de Liège, où, dès les premiers jours, il s’est manifesté par des actes de vandalisme ; mais il ne s’est vraiment déchaîné dans toute son intensité, dans toute sa violence qu’autour de Charleroi. Là des bandes se sont répandues de toutes parts dans les campagnes, incendiant les usines, les manufactures, les châteaux, les couvons, complétant l’incendie par le pillage, rançonnant et violentant les habitans paisibles, renouvelant sur leur passage les vieilles jacqueries. Auprès de ces scènes lugubres, les querelles parlementaires des libéraux et des catholiques, on en conviendra, paraissent assez vaines. L’insurrection menace sûrement les libé-