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raux autant que les catholiques. Elle est dirigée contre la constitution libérale de la société, contre tout ce qui possède, contre le travail lui-même ; elle ne respecte pas plus la maison d’industrie que la maison de plaisance, et c’est ce qui fait de cette étrange sédition un événement qui, en éprouvant, en remuant profondément la Belgique, doit aussi retentir en Europe. On ne s’y attendait pas, cela est bien clair. Le gouvernement de Bruxelles parait avoir été lui-même un peu surpris et par la multiplicité des échauffourées et par la rapidité, par la violence de cette explosion de barbarie. Il n’avait pas de forces suffisantes pour être partout à la fois. Il a été cependant bientôt en mesure d’envoyer, sous les ordres du général Van der Smissen, une petite armée de 8 à 10,000 hommes sur ce qu’il faut bien appeler le théâtre de la guerre. C’est bien la guerre en effet puisque, depuis quelques jours, il y a eu une série d’engagemens et que les victimes sont nécessairement assez nombreuses. Le mouvement sera réprimé sans nul doute. La loi restera victorieuse, rien n’est plus désirable, dans l’intérêt de la Belgique d’abord, puis pour d’autres raisons qui conduiraient bientôt peut-être aux complications les plus graves.

Et après ? à quoi aura servi cette coupable tentative ? Les meneurs d’anarchie qui ont poussé au crime des populations égarées, et il y a, dit-on, beaucoup d’étrangers, auront sûrement l’habileté de se dérober et de disparaître. Les ruines qu’ils ont accumulées dans le pays sont déjà incalculables. Des industries sont perdues pour longtemps. Des usines qui employaient jusqu’à 2,000 ouvriers ont été incendiées et ceux qu’elles occupaient demeurent nécessairement sans travail. Après la grève et l’émeute, la misère, c’est la douloureuse et inévitable moralité ! En Belgique comme ailleurs, les ouvriers qu’on abuse ne veulent pas voir que, fussent-ils même victorieux comme on le leur promet, ils ne seraient pas beaucoup plus avancés le lendemain ; ils n’auraient changé ni la nature des choses, ni les conditions essentielles du travail ; ils auraient tout au plus fait les affaires de ceux qui les exploitent. Par la grève, et l’émeute, ils ne servent ni leurs intérêts, ni l’industrie qui les fait vivre, ni une cause politique ou sociale, ni leur pays ; ils sont les éternelles dupes des malfaiteurs ambitieux qui vont chercher auprès d’eux, à leurs dépens, une grossière popularité.

Les affaires de l’Angleterre, comme toutes les affaires du monde aujourd’hui, semblent se compliquer sans cesse au lieu de se simplifier. L’Angleterre a sans doute, comme d’autres pays, ses épreuves intérieures, ses agitations industrielles, ses grèves ; elle a en même, elle aussi, il y a quelques jours, ses émeutes en pleine ville de Londres. Elle a de plus en perspective devant elle une vraie révolution, il faut bien l’appeler de ce nom, puisque tout ce qui se prépare pour l’Irlande peut assurément être une révolution. La difficulté seulement, on le