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mais sur une très grande échelle, non par évaporation, mais sans doute par suite de l’abondance des substances dont les eaux marines se trouvèrent alors saturées sur une foule de points de l’étendue qu’elles recouvraient. En Provence même, au-dessus du grès bigarré, c’est-à-dire, après le dépôt de celui-ci, on voit l’étage du muschelkalk ou conchylien revêtir l’apparence d’une vraie mer, peuplée d’êtres vivans, coquilles et poissons. Après le conchylien vient le keuper, nommé aussi l’étage des marnes irisées. Les phénomènes dont nous avons parlé se manifestent alors ; les amas de gypses abondent, ainsi que le calcaire magnésien, et la transition s’opère vers le lias inférieur, premier terme de la série jurassique. Avec lui, une ère nouvelle est inaugurée pour la Provence, qui demeure une région insulaire, primitive au centre, cernée d’une bande littorale triasique, décidément émergée. Autour de cette île, s’étend une vaste mer, la mer jurassique dont nous allons rechercher et définir le caractère.


II

La mer jurassique persiste en Provence d’un bout à l’autre de la période, avec des variations de profondeur, de sédimentation, d’éloignement ou de rapprochement des anciens rivages, mis en lumière par l’étude des géologues, mais sans indice de discontinuité, sans que des retraits partiels aient fait surgir au milieu d’elle de véritables îlots.

Dans les mers profondes, les dépôts, ainsi que les faunes dont on observe les vestiges, affectent un faciès pélagique. Les mollusques, surtout les gastéropodes, deviennent de plus en plus rares ; les seuls animaux qui fréquentaient la haute mer ont laissé des traces répétées. Les roches sont dures, compactes, en assises superposées et sans alternances de lits schisteux et marneux ou marno-sableux. Ce temps et ces conditions ont été favorables aux ammonites, qui, à l’exemple des argonautes actuels, naviguaient au loin, portées sur une coquille flottante, mince et transparente, divisée à l’intérieur par de nombreuses cloisons. C’est encore le temps des grands reptiles nageurs, ichtyosaures et plésiosaures, qui semblent avoir joué le rôle dévolu plus tard aux cétacés. Dans le midi de la France, les géologues s’accordent à croire que les mers, d’abord basses et plutôt vaseuses, peuplées d’algues et de mollusques littoraux, auraient ensuite gagné progressivement en étendue et en profondeur. Les puissantes assises de calcaire néocomien, pauvres en fossiles, amis de la plage, qui couronnent l’ensemble, favorisent cette opinion, qui est ici formulée d’une façon générale, abstraction faite d’une foule d’accidens et de particularités locales dont les