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stratigraphes ont en soin de relever la signification, en traçant l’histoire minutieuse des étages successifs.

Sur terre, le spectacle n’aurait pas été moins curieux à saisir, s’il avait été donné de l’analyser. Le sol émergé de la Provence, contemporain des mers dont il vient d’être question, ne nous a, par malheur, rien laissé en fait de vestiges propres à nous guider. Il faut bien recourir à d’autres régions, si l’on tient à s’en rendre compte. On sait qu’il existait alors déjà quelques petits mammifères terrestres, d’autant plus faibles et subordonnés que le règne végétal, réduit à des élémens plus appauvris, ne leur fournissait encore qu’une nourriture des moins abondantes : point d’herbages, ni de fleurs, peu de fruits succulens ou charnus, à peine quelques amandes comparables à celles de nos plus d’Italie. Les deux règnes ont dû avancer en s’appuyant l’un sur l’autre. La flore, en se dédoublant et se diversifiant, a produit à la fin des substances nouvelles, plus riches, plus variées, mieux appropriées au régime des animaux phytophages et frugivores. C’est ainsi que les mammifères terrestres, d’abord si débiles, ont pu graduellement s’élever et se multiplier. Les quadrupèdes, les oiseaux et les insectes ont suivi également une marche ascendante après avoir traversé un état de faiblesse et d’imperfection relatives, longtemps prolongé, et finalement les progrès seuls de la flore terrestre ont amené ces catégories au degré de perfectionnement qu’elles ont atteint à partir du début des temps tertiaires.

La flore terrestre, recueillie récemment par M. Changarnier-Moissenet, aux environs de Beaune, sur un horizon jurassique moyen (étage corallien), s’écarte peu assurément de celle qui couvrait à la même époque les rivages de Provence. La frappante monotonie de cette flore, confirmée par sa comparaison avec les empreintes de plantes provenant d’autres gisemens du même âge, nous autorise à penser qu’en s’avançant plus au sud on aurait rencontré à peu près partout un ensemble de formes végétales à peu près semblables. — Rien de plus grêle, de plus menu, de moins luxuriant que les végétaux recueillis par M. Changarnier, dans la Côte-d’Or, et qui croissaient à portée d’une baie abritée contre les courans. Ces végétaux furent entraînés par les ruisseaux de l’époque et enfouis dans un sable très fin promptement consolidé, où l’empreinte des parties les plus délicates a pu se mouler. L’imagination à demi éclairée des gens du monde, celle même des savans étrangers aux études spéciales, croient apercevoir sans trêve des palmiers, des bananiers, des arbres à feuillage opulent, des fougères géantes, au sein de ces lointains paysages de l’Europe d’autrefois ; il n’en est rien cependant, ou du moins il est loin d’en être toujours ainsi. Dans le cours