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1532 et de nouveau par North en 1537, avait acclimaté en Grande-Bretagne ce style extraordinaire. Comme ce n’est pas un produit naturel, mais le simple résultat d’ingénieux artifices, rien n’est plus facile que de le réduire à ses parties essentielles, de le démonter pour ainsi dire. Il consiste dans un usage immodéré, prodigieux, monstrueux, des comparaisons et dans l’emploi de l’allitération, c’est-à-dire de répétitions des mêmes lettres au commencement des mots importans pour mieux marquer le balancement des phrases à effet. Enfin, l’espèce même des comparaisons a quelque chose de particulier : elles sont, pour la plupart, empruntées à une histoire ancienne imaginaire et à une histoire naturelle fantastique, une sorte de mythologie des plantes et des pierres, auxquelles les vertus les plus extraordinaires sont attribuées.

Dans les parties importantes, lorsqu’il entend user du style noble, Lyly ne peut raconter le plus petit incident sans établir des parallèles entre les sentimens de ses personnages et les vertus des crapauds, des serpens, des licornes, des scorpions et de tous les fantastiques animaux des bestiaires du moyen âge. Jamais une seule comparaison érudite ou scientifique ne suffit à Lyly ; il en a toujours dans les mains un long collier qu’il égrène complaisamment : « Le crapaud hideux, dit-il, a une belle pierre dans la tête, l’or fin se trouve dans la terre boueuse, la douce amande dans la coque dure et la vertu dans le cœur de l’homme que ses semblables tiennent souvent pour difforme… Ne voyez-vous pas que dans les vases peints se trouve habituellement caché le plus terrible poison ; dans le gazon le plus vert, le serpent le plus grand ; dans l’eau la plus claire, le crapaud le plus laid ?.. » et quatre ou cinq comparaisons suivent encore. Harcelé d’exemples, criblé de similitudes, la colère aujourd’hui gagne le lecteur aventureux qui se hasarde à lire Euphuès. On voudrait protester, se défendre, dire qu’il en a menti, cet imperturbable naturaliste, que dans les coques les plus dures se trouvent justement les amandes amères, que les vases peints contiennent souvent autre chose que du poison et que, si les crapauds paraissent moins laids en eau trouble, c’est peut-être qu’on ne les voit pas. Mais qu’importe à Lyly ? Il écrit pour un cénacle choisi, et quand on écrit pour un cénacle, les protestations des mécontens, des envieux, hélas ! celles du bon sens aussi, n’ont guère de conséquence. Que le vulgaire s’égosille donc à la porte de Lyly, elle est bien close, il n’entendra rien et il n’a cure de savoir si parmi ce « vulgaire » ne figurerait pas Shakspeare. Il est heureux ; Euphuès, en compagnie des petits chiens, froisse la soie sur les genoux des dames aux grandes collerettes dentelées.

Mais, si important que soit le style, il n’est pas tout dans une œuvre littéraire. Il faut reconnaître que le succès de Ljly, s’il ne