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fait pas l’éloge du goût de ses contemporaines, est tout à l’honneur de leur moralité et de leur sérieux. Par la forme de ses phrases, Lyly est espagnol ; il surpasse les plus ampoulés et pourrait rendre des points à cet auteur dont parle Louis Racine, qui, découvrant sa maîtresse étendue sous un arbre, s’écriait : « Venez voir le soleil couché à l’ombre ! » Mais, par le fond de son caractère, il est un pur Anglais, il est bien du même pays que Richardson et appartient de cœur à cette race dont Tacite disait qu’elle ne savait pas « rire des vices, » témoignage que plus tard Rousseau rendait sur elle presque dans les mêmes termes. Dès le temps de Lyly et jusqu’à nos jours, le roman anglais est resté non-seulement moral, mais moralisateur ; l’auteur s’y prend de mille façons adroites et engageantes et vous conduit par la main à travers toute sorte de sentiers fleuris ; mais n’importe la manière, c’est constamment au prêche qu’il nous mène, sans le dire. Malheureusement pour Lyly, ce qui faisait autrefois l’attrait d’Euphuês et cachait l’amertume du sermon en fait aujourd’hui le ridicule et même l’odieux, c’est le style. Oublions donc pour un moment ses licornes et ses scorpions ; pris en lui-même, son héros mérite l’attention, parce qu’il est l’ancêtre en ligne directe de Grandison, de lord Orville, de lord Colambre et de tous les lords prêcheurs que valut à l’Angleterre le succès de Richardson.

Euphuès est un jeune Athénien contemporain, non pas de Périclès, mais bien de Lyly, qui vient à Naples, puis en Angleterre, étudier les hommes et les gouvernemens. Grave de la gravité spéciale aux prédicateurs laïques, instruit de toute chose et même de son propre mérite, assuré par sa conscience qu’en faisant part aux hommes de ses lumières il assurera leur salut, il adresse à ses semblables des épîtres morales pour les guider à travers la vie. Omniscient comme les héritiers de sa veine que nous avons entendus depuis, il enseigne au monde la vérité sur le mariage, l’éducation des enfans, les voyages, la religion. Il émet, par avance, sur la noblesse, les idées philosophiques de « milord Edouard ; » il traite de l’amour avec la sagesse de Grandison et de l’éducation des enfans avec l’expérience de Paméla.

Dans la seconde partie de son roman, qui parut en 1580, Lyly donne des sortes de Lettres persanes, mais des Lettres persanes à rebours, Montesquieu se servant de son étranger pour satiriser la France, el Lyly du sien pour louer sa patrie. Euphuès vient en Angleterre avec son camarade Philautus, et, le long de la route, comme il sait tout, il fait la leçon à son ami. Il le met en garde contre le vin, le jeu, la débauche, lui enseigne la géographie et lui signale ce qui vaut la peine d’être vu. Philautus ne lui répond pas qu’il est un pédant, ce qui prouve qu’il a très bon caractère et qu’il