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ce qui se passe entre Bulgares, c’est que la question est devenue européenne par les puissantes influences qu’elle met en jeu sur ce coin de terre des Balkans, par le rôle qu’elle a pris dans la combinaison des alliances. La Russie, on le comprend, n’a pu oublier qu’elle est la première libératrice de la Bulgarie, et elle entend bien rester sinon une suzeraine officielle, — Elle laisse cette suzeraineté un peu vague au sultan, — Du moins une protectrice traditionnelle, reconnue et écoutée dans les Balkans, Elle a essayé de maintenir son influence, ce qu’elle considère comme son droit, dans ces derniers temps, et par les impossibilités qu’elle a créées au prince Alexandre de Battenberg qui préférait peut-être un peu trop la tutelle anglaise à la tutelle russe, et par la mission qu’elle a confiée, il y a quelques mois, au général Kaulbars, et par ses volontés manifestées plus d’une fois à Sofia. Elle eu raison du prince Alexandre, qui s’est évanoui devant un mot du tsar ; elle a rencontré depuis des résistances devant lesquelles elle a cru devoir se retirer, non, bien entendu, par une abdication de sa politique, mais par d’autres calculs, — Et, en se retirant, elle a laissé les chefs provisoires de la Bulgarie sous le coup de son animadversion, sous la menace d’une intervention dont elle s’est réservé de choisir le moment et l’occasion. — L’Autriche, pour sa part, ne méconnaît pas les intérêts et les droits traditionnels de la Russie dans les Balkans; elle prétend aussi avoir les siens, surtout depuis qu’elle a dû à une libéralité profondément calculée du traité de Berlin l’avantage peut-être périlleux de s’avancer vers l’Orient par l’occupation de l’Herzégovine et de la Bosnie. Elle n’a pas caché à son tour qu’une intervention russe dans les Balkans pourrait lui créer quelques périls et de graves obligations. Elle l’a dit, il y a quelques mois, devant les délégations à Pesth; elle a laissé les ministres hongrois accentuer ses déclarations. Elle mesure toujours, on le sent, ses relations avec le gouvernement de Saint-Pétersbourg aux intentions de la Russie dans les principautés orientales. En d’autres termes, les deux politiques restent en présence et s’observent. Entre les deux puissances, le grand médiateur, le chancelier de Berlin, s’efforce visiblement de maintenir un certain équilibre, tantôt inclinant vers Pétersbourg, s’il espère y trouver sa propre liberté dans les affaires d’Occident, tantôt revenant vers Vienne, — se servant de l’Autriche pour peser sur la Russie, de la Russie pour contenir l’Autriche dans ses devoirs d’alliée fidèle, de l’une et de l’autre pour garder sa prépondérance au centre du continent. C’est le nœud de la situation sous le voile de cette alliance des trois empires qui semble toujours près de se rompre et toujours près de se renouer.

Toute la question est de savoir quelle influence les derniers événemens de la Bulgarie, si rapprochés de la dernière crise occidentale, peuvent avoir sur les rapports des trois empires, sur la position et les