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entrée de Radamès, et le cri déchirant : O honte ineffaçable! cet homme est parmi les plus grands.

Le dernier acte est au moins l’égal du troisième. La scène du jugement est l’une des plus intéressantes. Elle était difficile à traiter, et le Verdi du Trovatore l’eût comprise autrement que le Verdi d’Aïda. Amneris autrefois eût terminé sa plainte et ses supplications par un air analogue à celui de Léonore : Tu vedrai che amore in terra, qui jure un peu avec l’admirable Miserere. Rien de semblable ici : plus une disparate, plus un instant de désaccord entre la situation dramatique et l’inspiration musicale. Musicale, on peut le dire, car les fureurs d’Amneris se gardent également de la cabalette à roulades et de la déclamation récitée. Qu’elle pleure Radamès ou qu’elle insulte les prêtres, elle ne cesse de chanter. La suite rapide des épisodes n’altère pas le plan de cette scène, variée sans être décousue.

Quant au dernier tableau, c’est l’un des plus admirables qui aient, jamais terminé un opéra. L’œuvre finit dans la sérénité, dans la paix, et ces fins-là sont les plus belles. Là-haut, le temple est plein de lumière, les cérémonies se poursuivent, immuables, dans le sanctuaire des dieux indifférens; en bas, deux êtres humains meurent aux bras l’un de l’autre. Leur chant d’amour et de mort est parmi les plus beaux de la musique. Qui sait? Peut-être un jour verra s’écrouler la fugue, le contrepoint, la science des combinaisons et de l’harmonie; le monde musical sera détruit; mais, au-dessus de ses ruines, il semble que certaines mélodies planeront toujours : le Voi che sapete, de Mozart, le sextuor final de Freischütz, et quelques autres encore. La dernière mélodie d’Aïda sera de celles-là.


CAMILLE BELLAIGUE.