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de les avoir en tête) ; mais la Saxe devenue hostile, c’était la route directe de Berlin fermée à ses troupes, à ses convois et à ses courriers. Il ne pouvait plus rester en rapport avec ses propres états ni y rentrer en cas de malheur qu’en faisant un long détour pour rejoindre et traverser la Silésie.

Mis en face de cette douloureuse perspective, Frédéric éprouva un véritable accès de fureur et de désespoir, et on l’entendit s’écrier : « Mais c’est donc le diable qui m’a amené en Bohême ! » Plus tard, se souvenant de ces mauvais jours, il en tirait la conclusion qu’il avait eu tort, en forçant le passage des états du roi de Pologne, de ne pas profiter de l’occasion pour mettre ce prince, une fois pour toutes, hors d’état de lui résister : d’où la règle générale qu’il ne faut jamais maltraiter un adversaire à demi. » C’est une moralité dont il devait faire sentir plus tard l’application, dans une conjoncture plus éclatante, au roi de Pologne lui-même.

Nulle hésitation n’était donc plus possible : à moins de courir le risque d’être enfermé en Bohême après une défaite et de n’en plus pouvoir sortir, il fallait à tout prix couvrir et protéger la seule issue qui restât ouverte. Un nouveau mouvement de recul devint nécessaire, et Frédéric dut venir se concentrer autour de Pardubitz, petite ville située sur le cours de l’Elbe et l’une des places les plus voisines de la frontière silésienne. Mais en se rapprochant de son ancienne conquête, il s’éloignait par là même de la nouvelle, car Pardubitz était distant de Prague d’environ vingt lieues, et la ligne que l’armée prussienne avait à défendre prenait une étendue qui rendait très difficile de la garder intacte tout entière. Aussi le prince Charles, suivant son adversaire pied à pied, ne manqua pas de venir se placer en face de lui, le menaçant tantôt sur sa droite, tantôt sur sa gauche, pour le couper de l’une ou de l’autre des deux extrémités qu’il lui importait également de conserver libres. « Le dessein du prince Charles, dit l’Histoire de mon temps, était de forcer le roi d’opter entre la Silésie et la Bohême laquelle de ces deux provinces il voudrait soutenir. Si le roi restait auprès de Prague, les ennemis lui coupaient la communication avec la Silésie ; si le roi tirait vers Pardubitz, Prague et la Bohême étaient perdus ; ce dessein était beau et digne d’admiration ; le maréchal Traun y ajoutait la sage précaution de choisir toujours des camps inattaquables pour ne pas être forcé à combattre malgré lui. »

La précaution était bonne en effet, car Frédéric, toujours confiant dans son génie et dans sa fortune, tenta à plus d’une reprise de sortir par un coup de force de la pénible alternative où il s’était renfermé. Il offrit plusieurs batailles dans des conditions où un ennemi,