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REVUE. — CHRONIQUE.

gramme, il tient pour signé ce qui est signé, et il est bien clair que l’alliance avec les grands empires conservateurs de l’Europe ne peut qu’avoir son influence sur la politique intérieure. De sorte que le nouveau ministère se trouve dans cette condition un peu singulière et passablement embarrassante. S’il veut être trop libéral dans ses allures, trop complaisant pour les partis ardens qui s’agitent toujours au-delà des Alpes, il risque d’ébranler cette alliance européenne à laquelle il tient, dont il fait son premier article de foi ; s’il veut maintenir l’alliance dans toute sa force, il retombe sous le coup d’une nécessité que M. Depretis a plus d’une fois ressentie et subie dans ces dernières années, celle de « serrer les freins, » comme on l’a dit, de réprimer ou de décourager les passions agitatrices. L’œuvre est assez contradictoire. Le trait le plus caractéristique de ce ministère qui vient de naître ou de se recomposer à Rome, c’est l’entrée aux affaires de M. Crispi, qui se flatte sans doute de tout concilier ou plutôt de tout dominer par sa résolution, et dans tous les cas d’imprimer une allure plus vive à la politique italienne. M. Crispi, depuis quelque temps déjà, ne négligeait rien pour préparer son avènement. Il n’y a que peu de mois, il écrivait une lettre par laquelle il s’étudiait à dissiper les soupirons d’hostilité contre la France, — plus récemment encore, il est vrai, il se serait plu, dit-on, à attester ses sympathies de vieille date pour l’Allemagne. Lettres et paroles plus ou moins fidèlement rapportées n’ont pas une grande importance. En réalité, M. Crispi, quelles que soient ses ambitions ou ses arrière-pensées, ne fera que ce qu’il pourra ; il sera contenu par les circonstances, et peut-être, au besoin, par l’influence modératrice de M. Depretis, qui n’est pas un homme d’emportement et d’aventure. L’évolution qui vient de s’accomplir cache peut-être plus d’un secret, elle ne semble pas de nature à changer essentiellement la politique italienne.

Tout, d’ailleurs, est assez mystérieux dans cette phase récente des affaires de Rome. Par une combinaison frappante, le renouvellement de l’alliance de l’Italie avec les empires du centre s’est effectué au moment où s’attestait et se dévoilait avec une sorte d’ostentation l’entente de l’Allemagne avec le pape, avec le Vatican. Autre coïncidence : au moment où le traité était préparé, signé on ne sait où, une disgrâce imprévue est venue frapper un homme qui représentait depuis plus de quinze ans l’Allemagne à Rome, qui a toujours mis l’activité la plus remuante à entretenir l’intimité entre le Quirinal et Berlin. Le baron de Keudell a cessé tout à coup d’être ambassadeur impérial à Rome. Avait-il été froissé d’être tenu en dehors de la négociation de la triple alliance récemment renouvelée ? Son zèle italien avait-il cessé de plaire à Berlin ? Ce ne sont là, si l’on veut, que des coïncidences. À les interroger de près, l’Italie pourrait y voir peut-être une raison de ne pas trop se fier à des combinaisons ou à des alliances qui ne