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divination des désirs que devait exprimer Frédéric), il faudrait une armée pour le garder tant que la guerre durera. Elles sont fort chères à entretenir dès qu’elles sont au-delà des frontières, et la paix, si avantageuse qu’elle soit, il n’en restera rien, pas le moindre dédommagement. Le roi d’Angleterre n’a rien à nous offrir qui fût à notre bienséance. Du côté de la Flandre, il n’en est pas de même ; nous pouvons y faire des conquêtes : elles ne nous resteront pas toutes, mais nous pouvons espérer d’en garder quelques-unes, et ce qui nous en restera sera autant de diminué aux possessions de la maison d’Autriche. De plus, nous y vivons à ses dépens. »

Les mêmes considérations étaient développées, avec plus de force encore, par le maréchal de Noailles, dans une lettre adressée confidentiellement à Louis XV, et il les appuyait non-seulement sur l’intérêt de la grandeur, mais sur les nécessités de la défense nationale. « Dans la position où nous sommes, disait-il, il est de la prudence et même presque indispensablement nécessaire de ne faire la guerre offensive que d’un seul côté à la fois. Il serait impossible de l’entreprendre en plusieurs endroits en même temps : les guerres passées fournissent assez d’exemples du peu de succès de pareilles entreprises, et l’on n’a pas de forces suffisantes pour oser seulement le tenter. Il n’y a plus de choix, Sire, sur le lieu où on doit agir offensivement. » — Et il allait jusqu’à conclure que le meilleur plan serait de faire retirer l’armée du Rhin derrière le fleuve, avec ordre de maintenir sur la frontière française une ligne purement défensive. La conclusion était hardie, et peut-être la seule logique ; seulement, pour qu’elle fût vraiment applicable, il aurait fallu, en évacuant le sol de l’Allemagne, renoncer aussi à lui dicter le choix d’un empereur, car on ne pouvait faire le vide de toute action militaire et prétendre y conserver même l’ombre d’une influence diplomatique. C’était une inconséquence ou une contradiction dont il était peut-être un peu tard pour s’aviser[1].

Quoi qu’il en soit, Noailles et Lowendal voyaient juste, et le Danois, si récemment devenu Français, raisonnait avec l’instinct du véritable intérêt et de la gloire de la France. Ce jour-là, comme dans tout le cours de notre histoire, c’était bien sur notre frontière septentrionale que se jouait la partie décisive et que notre patrie devait tourner ses regards, soit pour défendre, soit pour accroître sa grandeur. Mais il n’est pas étonnant non plus que ces considérations d’un patriotisme exclusif et un peu jaloux ne fussent que

  1. Mémoire sur la campagne de 1745, attribué au comte de Lowendal. (Papiers de Condé. — Ministère de la guerre.) — Noailles au roi, 29 avril 1745. Rousset, t. II, p. 191.