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auprès de son frère les instances les plus pressantes pour l’amener aux vues de la politique française. Il s’y prêta de bonne grâce, mais sans paraître ni espérer, ni même désirer bien vivement le succès de sa démarche : soit que, connaissant par expérience l’état intérieur de sa famille, il n’eût qu’une médiocre confiance dans l’énergie que mettrait Auguste à soutenir une si haute prétention ; soit qu’ayant lui-même en tête un grand dessein, il comprit d’instinct que, si la politique française avait deux objets à poursuivre, l’effet inévitable de cette division d’attention et de forces serait de réduire les ressources dont on lui permettrait de disposer ; soit enfin que, ne pensant plus qu’à la Flandre, l’Allemagne fût devenue le moindre de ses soucis. La lettre qu’il écrivit ou qu’on lui fît écrire à son frère eut un caractère tout officiel très différent du ton de vivacité familière qui lui était habituel. Il eut même l’art d’y intercaler cette phrase, qui n’avait rien d’engageant : — « Il me parait, disait-il, que l’affaire de la succession de la maison d’Autriche n’est pas l’objet qui attire à présent la plus grande attention ; » — et à sa sœur, la princesse de Holstein, avec qui il entretenait une correspondance amicale, il laissait voir plus nettement sa pensée : — « Le roi de Pologne, écrivait-il, a beau jeu pour devenir empereur, mais nous sommes Autrichiens en diable ; il parait qu’on me destine le commandement de l’armée de Flandre, où, selon toutes les apparences, se frapperont les grands coups. »

A cela près, et sauf ces préoccupations diplomatiques auxquelles il ne s’associait que du bout des lèvres, l’humeur générale qu’il trouva régnante à Versailles répondait assez, avec les goûts qu’on lui connaît, à celle qu’il devait y apporter lui-même ; car, tout en pensant et en se préparant à la guerre, on s’y livrait avec entraînement au plaisir. L’esprit public, on le sait, en France, ne peut rester longtemps sous une impression ni triste, ni même sérieuse. Si, après des jours de peine et d’inquiétude, se présente une occasion naturelle de distraction et d’oubli, elle est saisie avec avidité par une réaction qui ressemble à la détente d’un ressort trop fortement comprimé. C’est l’effet que produisaient, après les douloureux événemens des années précédentes, après Prague et Dettingue, après les alarmes causées par l’invasion de l’Alsace, après les scènes pénibles de la maladie du roi et la fin sinistre de sa maîtresse, les fêtes qui durent être célébrées pour le mariage du dauphin avec l’infante d’Espagne. — « On ne parle plus ici d’aucune nouvelle, dit le chroniqueur Barbier, on n’est occupé que de l’arrivée de Madame la dauphine, du départ du roi pour aller au-devant d’elle à Étampes, et des fêtes superbes qui se préparent tant à Versailles qu’à Paris. Le Français, en général, oublie toutes les inquiétudes