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lasse, après la troisième tentative, Cumberland dut se replier. Mais au moment où les deux maréchaux allaient rendre compte au roi de ce nouveau succès, deux pertes très sensibles vinrent les frapper au cœur l’un et l’autre. Le jeune duc de Gramont, neveu de Nouilles, le même qui, par un excès d’ardeur, avait tout compromis à Dettingue, après avoir valeureusement combattu sous les yeux de son oncle, se séparait de lui en l’embrassant ; un boulet vint frapper son cheval, qui s’abattit. — « Prenez garde, monsieur, votre cheval est tué, » lui dit un officier qui le suivait. — « Et moi aussi, monsieur, n répondit-il. — Il avait la cuisse fracassée, et, une heure après, il expirait. Quelques instans plus tard, c’était le commandant en chef de l’artillerie, M. du Brocard, qui était frappé au moment où, malgré les avertissemens de ceux qui l’accompagnaient, il s’avançait lui-même pour faire remettre en ligne des batteries qu’il trouvait déplacées. Maurice n’avait pas de meilleur ami que ce fidèle compagnon de toutes ses campagnes, et, malgré la joie de voir jusque-là tout réussir suivant ses desseins, le coup lui sembla si cruel que des larmes parurent dans ses yeux. Ceux qui suivaient, d’ailleurs, se prenaient à tout moment à craindre que la force ne vint à lui manquer ; la contraction de ses traits trahissait une douleur intense que toute son énergie avait peine à dominer. On dit que, pendant toute la durée de l’action, il portait dans sa bouche une balle de plomb pour entretenir la salivation et empêcher que, par l’ardeur de la fièvre, le palais et la gorge ne fussent tout à fait desséchés[1].

Tout cependant marchait suivant ses souhaits, car, à l’extrémité de gauche, la troisième attaque, conduite par les Écossais, était moins heureuse encore que les deux autres. Lord Ingoldsby, à qui la tâche en était confiée, n’osa en réalité même pas la tenter. Trouvant les deux redoutes qui gardaient l’entrée et la sortie du bois de Barry plus fortes qu’il ne s’attendait, effrayé d’ailleurs de voir se lever devant lui la compagnie des Grassins, qui s’était couchée à terre pour le laisser arriver, et dont il ne soupçonnait pas la présence, il jugea les forces dont il était muni insuffisantes et fit demander un renfort de canons. C’était mal prendre son temps. Au moment où le feu était si vivement engagé devant Fontenoy, Cumberland ne pouvait se passer de la totalité de ses moyens d’action. Ingoldsby recula alors sans coup férir. Son attitude parut si indécise et sa conduite si molle qu’il dut plus tard en rendre compte à Londres devant une cour martiale[2].

  1. Vie privée de Louis XV, t. II, p. 215. — D’Espagnac, t. II, p. 2-63.
  2. Carlyle, loc. cit.