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dans une double flûte. Il est fâcheux que le mouvement trop prononcé du haut du corps en avant donne, de face, à cette figure, un aspect peu gracieux. Là aussi la réalité est étudiée avec plus de conscience que de sentiment. Les Abels sont plus nombreux ; nous en avons deux au moins qui sont de ravissans morceaux. L’un est Abel portant sa première offrande, par M. Fagel, une figure naïve et fervente d’adolescent qui porte dans ses bras un petit agneau. C’est Abel ou c’est un autre, un enfant quelconque d’une époque primitive, mais un enfant robuste et sain, d’une candeur éclatante, qui apporte pieusement ses offrandes au bon Dieu. On comprend à première vue et l’on est ravi qu’une chose, si simplement composée, soit aussi exécutée avec une science très simple et très sûre. Nous préférons ce naïf Abel au monument qu’élève, un peu plus loin, A la Comtesse de Caen la Jeunesse artistique reconnaissante, par les mains, du même M. Fagel. On sait que la comtesse de Caen, une des plus généreuses bienfaitrices de l’Institut, a constitué, pour les pensionnaires de Rome, une rente assez rondelette qui leur permet, pendant quelques années, lors de leur retour à Paris, de préparer sans impatience des chefs d’œuvre ; il était naturel qu’un pensionnaire se chargeât de lui élever un monument. L’œuvre de M. Fagel, où reparaît tout son talent d’exécutant, ne nous semble pas irréprochable au point de vue de la conception. La jeunesse est représentée par une fillette absolument nue, d’un type chiffonné, une jeunesse parisienne sans doute, qui, se montrantdeface.se hausse sur les pieds pour découvrir, en lui enlevant son voile, un buste de la comtesse de Caen posé à sa droite sur un piédouche. La nudité absolue de la fille, dans cette circonstance, est-elle bien justifiée ? Quelques draperies bien ajustées, quelques accessoires bien choisis lui eussent donné plus de dignité et de signification. Cette figure, telle qu’elle est, reste donc une fine étude d’après nature plutôt qu’une conception idéale. Le réalisme, dans un personnage allégorique, est toujours choquant ; il l’est d’autant plus ici que la fillette déshabillée forme contraste avec le buste d’une dame âgée de physionomie respectable. Ce buste lui-même est mal posé sur le piédouche mince dont la gracilité s’exagère encore par des échancrures superposées. Moins de maniérisme et plus de simplicité eussent mieux convenu dans cette occasion.

Le second Abel est un Abel mort de M. Caries ; c’est, comme travail de marbre, l’un des meilleurs morceaux du Salon. Le garçonnet est étendu sur le sol, la tête pendante, les jambes allongées. Son jeune corps, souple et bien proportionné, à peine inanimé, sarde encore, dans son affaissement, la grâce de la vie qui vient de le quitter. Il est rare de voir une étude anatomique traitée d’une