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flamme, il faut plus que la voix, plus que le style d’une virtuose ; il faut l’intelligence et le cœur d’une artiste, et Mlle Isaac a tout cela.


On a fort bien dit : Nous ne reprenons pas les chefs-d’œuvre ; ce sont les chefs-d’œuvre qui nous reprennent. Comme le Prophète nous a repris ! Le hasard avait fait que depuis dix ans peut-être nous ne l’avions ni revu ni relu tout d’une haleine. En dix ans, que de musique entendue, soit en France, soit à l’étranger ! Que de courans établis ! Que de doctrines se disputent notre époque incertaine ! Et nous retournions au Prophète avec un peu d’inquiétude. Aujourd’hui, l’on médit tellement de Meyerbeer ! Il est tellement à la mode, parmi les nains du jour, de rapetisser ce géant ! Nous-même, allions-nous donc le retrouver amoindri ? Sentirions-nous faiblir au fond du cœur notre admiration d’autrefois, et n’entendrions-nous plus, comme dit le poète, chanter l’oiseau de nos jeunes années ? — Mais non ; l’œuvre a reparu, et elle a resplendi. La voilà toujours, dans sa grandeur colossale ; la voilà sur sa base inébranlée, avec ses proportions gigantesques et son architecture de cathédrale ; la voilà, cette œuvre de poésie et de vérité, toute vivante, toute vibrante d’humanité, et belle avec cela de certaines beautés plus qu’humaines. La voilà, puissante avec sobriété, complexe sans confusion, faite à la mesure de notre âme, pour l’emplir et non pour l’excéder.

Le Prophète est de 1849 ; Lohengrin, de 1850. Il est intéressant d’entendre les deux opéras tout près l’un de l’autre, comme ils sont nés. De cette dernière épreuve, ainsi que de toutes les précédentes, Meyerbeer, à nos yeux, sort infiniment plus grand que Wagner, plus grand que tout autre musicien de théâtre. Certes, même après Meyerbeer, on pouvait faire encore de belle musique, de plus belle peut-être, puisque l’honneur humain c’est de faire toujours plus beau. Mais, au lendemain du Prophète, il n’était pas besoin d’une révolution. L’œuvre qui venait de naître pouvait suffire aux plus hardis. Ce n’est point là le produit d’un art en décadence qu’un nouvel art devait remplacer. Ceci n’a pas tué cela, et le drame lyrique, comme on dit aujourd’hui, n’a pas détrôné l’opéra, comme on disait alors ; du moins l’opéra de Meyerbeer. Vainement je cherche dans le Prophète les abus à corriger ; vainement aussi, dans les plus belles œuvres de Wagner, les réformes nécessaires et les questions résolues. Où trouver, chez le Meyerbeer de 1849, des erreurs dramatiques, des manquemens à cette prétendue loi de la vérité, que les doctrinaires du jour proclament la première de toutes ? Ah ! la vérité dans l’art ! que de crimes on commet en son nom !

Vous dites : l’art lyrique ne saurait demeurer exclusivement musical, — Meyerbeer l’a dit avant vous. Pas un de ses opéras qui ne