Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 82.djvu/754

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cela, l’israélite n’a rien de particulier, nous sommes tous ainsi, et nous avons tant aimé notre « moi » que nous voudrions lui assurer une personnalité indéfinie, même lorsque l’on sait que toute personnalité matérielle est destinée à se confondre dans l’universalité des choses. J’ai connu à la Salpêtrière une bonne femme qui, à force de mettre sou sur sou, était parvenue à réunir la somme nécessaire à l’achat d’une concession perpétuelle ; pendant bien des années, elle se priva de tout, sans murmure et avec courage, parce que, selon son expression, elle ne voulait pas aller « bouillir dans la grande marmite, » c’est-à-dire être versée dans les pourritures de la fosse banale.

Toute religion a entouré la mort d’un appareil grandiose, où la terreur et l’espérance font tour à tour entendre leur voix. La vie terrestre vient de finir, la vie d’outre-tombe s’est ouverte, car nulle révélation n’admet, comme dit Montaigne, « cette opinion si rare et incivile de la mortalité des âmes ; «tout en promettant à « l’esprit » des destinées supérieures, on prie sur le corps qui lui a servi d’habitacle et on lui rend une sorte de culte. On dirait que la mort efface le souvenir du mal et ne laisse subsister que celui du bien. Que de vivans haïssables et détestés sont devenus sacrés au lendemain de leur dernier jour ! À Rome, on déifiait les empereurs aussitôt après leur décès ; j’imagine que l’on témoignait ainsi la joie que l’on éprouvait d’en être délivré.

Le judaïsme, auquel le catholicisme, l’orthodoxie grecque, l’islamisme, le protestantisme dans toutes ses communions, ont tant emprunté, a environné la mort de cérémonies particulières qui diffèrent des nôtres et qu’il n’est point superflu de faire connaître ; elles rentrent dans notre sujet, car elles nécessitent, pour les pauvres, l’intervention secourable du comité de bienfaisance. Lorsqu’un israélite fervent en sa croyance, soumis à la Loi et respectueux des prescriptions du Talmud, sent venir sa dernière heure, il doit, s’il a conservé la lucidité de son intelligence, confesser à haute voix ses péchés les plus graves et mêler sa prière à celles des assistans : « Je reconnais, ô mon Dieu, ô Dieu de mes ancêtres, que ma guérison et ma mort sont entre tes mains, car dans ta main est le souffle de tout être vivant ! » Lorsque les personnes présentes s’aperçoivent que l’agonie touche à son terme, elles disent ensemble : « L’Éternel règne, l’Eternel a régné, l’Éternel à jamais régnera ; l’Éternel est un ! » Quand le malade a rendu le dernier soupir et que l’on a constaté le décès en posant une plume de duvet sous la lèvre supérieure, chacun s’incline et dit : « Louanges au juge équitable ! » Dès lors commencent les prières qui doivent durer pendant sept jours, qui sont les « jours d’Abel ; » souvenir du premier meurtre, aïeul des guerres où la bête humaine se com-