Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 82.djvu/753

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pas même les descendans de Ruben et de Nepthali, que le souvenir de la grappe de Chanaan pourrait engager à aller la chercher, en bouteilles, chez le marchand de vin. Plus de soixante familles trouvent ainsi la sécurité du logis, et doivent peut-être à la charité de leurs coreligionnaires d’échapper aux hasards du vagabondage. Toute femme pauvre, devenue veuve dans l’année, est adoptée d’office par l’œuvre des loyers, qui étend de préférence sa protection sur les vieillards, sur les malades et sur les ouvriers qu’une blessure accidentelle ou un chômage a fait sortir de l’atelier. En dehors de cette action officielle, le comité exerce une action officieuse dont il garde le secret, le secret du confesseur. Parfois, à la suite de circonstances imprévues, d’affaires mal engagées, de maladie persistante, une famille honorable, bien posée, comme l’on dit, se trouve réduite à une condition précaire qui dépasse la gêne et côtoie l’indigence. Dévoiler cette situation, c’est nuire au crédit et mettre obstacle à un relèvement possible, sinon probable. Dans ce cas, c’est généralement le grand-rabbin qui reçoit la confidence et s’empresse déparer à des éventualités cruelles. Est ce au comité qu’il s’adresse ? je ne puis l’affirmer ; j’imagine plutôt qu’il va trouver un de ceux qui ont « une ville fortifiée, » et qu’il en reçoit, sans longues explications, la somme nécessaire au salut du « pauvre honteux. » Le loyer est payé, et si l’on y ajoute de quoi tenter de nouveaux efforts, je n’en serais pas surpris.

La seconde fondation dont je vais parler ne s’occupe plus des choses de ce monde ; pour ceux qui en profitent, le logement est définitif ; il reste clos à jamais et ne s’ouvrira qu’au jour où la trompette de l’ange sonnera la diane au-dessus de la vallée de Josaphat : c’est l’œuvre du repos éternel, à côté, mais en dehors de laquelle fonctionne une société mutuelle appelée « la terre promise ; » toutes deux ont pour but et pour résultat de donner à l’israélite pauvre, que la vie vient de délaisser, les prières prescrites par la Loi, un cercueil et une place isolée dans le cimetière, qui est la maison des vivans : Beth-Haim. Dormir seul son dernier sommeil, cela paraît facile au premier abord ; mais dans une ville comme Paris, où les terrains se paient à poids d’argent, où les concessions perpétuelles et privilégiées ressemblent à la prison cellulaire des cadavres, où, sans respect pour l’être humain, sans souci de l’hygiène, en entasse les morts dans la fosse commune, il en coûte cher de réserver sa tombe, et bien des gens ne peuvent se donner le luxe d’une sépulture personnelle. Or le juif y tient, par croyance, par dégoût de la promiscuité des décompositions, et par ce sentiment commun à tous les hommes qui espèrent échapper à l’anéantissement de leur individualité. Or entrer dans « les tranchées gratuites, » c’est se perdre au milieu de la foule et y disparaître. En