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syndicats, et qu’il en pourrait citer une à Rome ayant une fortune mobilière de 20 milliards. Par exemple, il se garda bien de la nommer. Il affirma (non sans s’attirer un démenti très formel) que l’Union nationale des patrons avait des immeubles, jouissait de 300,000 livres de rente, qu’elle usait de fidéi-commis, passait des actes par personnes interposées. Mais le siège de la majorité était fait, et cette misérable jonglerie déchiffres avait de quoi la séduire. Au grand dam et mécontentement des intéressés, elle décréta que les syndicats ne pourraient recevoir ni dons ni legs, avoir d’autres immeubles que ceux nécessaires à leurs réunions, bibliothèques et cours d’instruction professionnelle, d’autre revenu que la cotisation de leurs adhérens. La loi anglaise permet aux trades-unions de recevoir des membres honoraires ; et, en France même, beaucoup de sociétés de secours mutuels ne se soutiennent que par eux : la majorité refusa de les accepter, afin de soustraire les syndicats ouvriers à l’influence des catholiques et des hommes de la classe libérale. Le parlement anglais a prévu avec le plus grand soin, punit sévèrement toutes les atteintes à la liberté du travail isolé : notre chambre des députés a, sous ce rapport, montré une timidité fâcheuse ; il fallait plaire aux meneurs des syndicats, on faisait la loi pour eux, on les citait sans cesse pendant la discussion, et tout bas on paraphrasait le vers de Prusias :


Ah ! ne me brouillez pas avec… ces électeurs !


Les médecins ont essayé de se constituer en syndicat ; ils ont fondé un journal, le Concours médical, une caisse de retraites pour les victimes de la profession, un bureau central de renseignemens à Paris. Un jugement du tribunal de Domfront, confirmé par la cour de Caen et la cour de cassation, a refusé aux professions dites libérales les avantages de la loi. Il est vrai que le tribunal de la Seine déclare légal un syndicat de pharmaciens parisiens. Que devient en tout ceci la liberté plénière ou même la liberté sans épithète ?

C’est qu’en effet les bourgeois, les patrons, les acheteurs de travail, se montrent bien plus empressés que les ouvriers, les vendeurs de travail, à s’organiser en syndicats : inertie, défaut de ténacité, impatience du frein le plus léger, prétentions excessives, absence de principes solides, facilité à jouer le rôle de moutons de Panurge entre les mains de hardis meneurs étrangers à la profession, tout conspire contre l’efficacité de ces chambres syndicales des travailleurs autour desquelles on a mené si grand bruit, qu’on représentait comme la classe ouvrière elle-même, et qui, sauf Lyon, Saint-Étienne et quelques autres, cachent sous des mots pompeux de