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auquel il alloue 0 fr. 15 par livre ; le producteur vend son mouton 18 sous au lieu de 13, le consommateur le paie 21 sous au lieu de 26 : l’un vend mieux, l’autre achète meilleur marché.

M. Deuzy propose aux agriculteurs un autre idéal, « une dernière citadelle à emporter d’assaut : » les fournitures de l’état, des ministères, des administrations publiques. Aujourd’hui, dit-il, on met en adjudication d’immenses quantités à la fois : 20,000 bœufs, 500,000 hectolitres de blé, d’avoine, et on exige des types, des poids difficiles à réunir en France. Quel est le cultivateur qui, réduit à ses seules forces, soumissionnera de pareilles fournitures ? Mais ce qui lui est impossible devient facile à un syndicat, à une union de syndicats, qui, groupant tous les échantillons d’une même espèce, centralisant les offres de plusieurs départemens, livreraient, sous leur garantie, après vérification ou analyse, les commandes de l’état, et, par une pression morale, forceraient celui-ci à abandonner des prétentions déraisonnables, à prendre pour règle de conduite cette belle maxime :


Et d’être enfin Français n’est-il pas bientôt temps ?


Le cultivateur ignore naturellement les crises économiques, les perturbations soudaines qui agitent les pays étrangers. Voici un exemple frappant des inconvéniens de cet isolement. En 1885, la récolte du lin venant à manquer en Russie, des commissionnaires se répandent dans le nord, achètent à vil prix les lins disponibles aux cultivateurs, étonnés et joyeux de se défaire d’une marchandise qui ne trouvait pas preneur quinze jours auparavant. A quelque temps de là, ils apprennent la vérité et se lamentent d’avoir perdu une si bonne occasion. Supposons une union de syndicats, avec un bureau central à Paris correspondant avec nos consuls à l’étranger : un télégramme suffisait pour avertir les agriculteurs du Nord, qui réalisaient un gros bénéfice.

Les actes ont suivi de près les paroles : en moins de trois ans, plus de quatre cents syndicats ont vu le jour ; ils marchent, se développent, gagnent de proche en proche. C’est une traînée de poudre ; bientôt aucun département n’échappera à cette contagion du bien, aussi puissante parfois que celle du mal. D’ailleurs, l’institution est toute nouvelle : chacun cherche et tâtonne, car la loi est faite dans le vide ; mais le temps est une bonne mère de famille qui arrange bien des choses : il aidera à dissiper les voiles qui obscurcissent encore la question. Le gouvernement a promis de présenter un projet sur les syndicats et le crédit agricole. Plusieurs syndicats ont pris pour modèles les statuts formulés à la suite du rapport de M. Sénart à la Société des agriculteurs de France ;