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girofle, 20,000 livres de noix muscade et 200 livres de macis. L’ambassadeur de France ne se trompait pas en terminant par les appréciations suivantes le récit des ovations que l’enthousiasme de la population avait décernées à l’amiral Van Neck : « Vous verrez en bref que les richesses d’Orient prendront le cours de Hollande, laissant celui de Portugal qui les a possédées et gardées à clef d’icelles, il y a plus de six-vingt ans. Car ces gens-cy espèrent de faire dorénavant ledit voyage, aller et retour, en moins de trois ans. Voilà comment ces flegmatiques et patiens Hollandais, quand on leur bouche un trou, comme on leur a fait celui des Espagnes, en trouvent toujours quelque autre pour s’y fourrer et échapper. Monsieur, vous ne sauriez croire combien ce fait apporte de fermeté et de bonne espérance au dedans de cet état, lequel, consistant principalement au fait de la marine, se perdrait s’il n’eût trouvé moyen d’employer les forces qu’il a de ce costé-là. Maintenant, le trafic d’Espagne ne sera plus regretté, ains, au contraire, on sera bien aise que chacun tire du costé desdites Indes et y trouve ses moyens. Car cela apportera même à l’état un grand revenu par les impôts qu’ils mettront sur lesdites épiceries. »

Calculatrice et méthodique, la Hollande n’en était plus à se contenter de réussites individuelles contre-balancées par des échecs partiels. La haine aveugle de Philippe l’avait poussée dans une voie où elle ne devait plus s’arrêter. D’une nation de petits négocians caboteurs, il avait fait, sans le savoir et le vouloir, une nation d’armateurs et de grands commerçans. Ils connaissaient la valeur de l’association ; plus n’était besoin du concours incertain d’Anvers largement rétribué ; en unissant leurs efforts, ils décupleraient leurs forces. De cette idée, banale aujourd’hui, nouvelle et hardie pour l’époque, naquit la Compagnie unie des Indes orientales, à laquelle les états-généraux concédèrent, en 1602, le monopole du trafic à l’est du cap de Bonne-Espérance et à l’ouest du détroit de Magellan. Gérée par dix-sept directeurs centralisant entre leurs mains tous les pouvoirs politiques, civils, militaires et judiciaires concédés à la compagnie, elle fut constituée au capital de 6,440,000 florins, divisé en actions de 2,000 florins.

Les Hollandais ont la rancune tenace ; ils l’ont prouvé à Louis XIV. Il ne leur suffisait pas d’avoir détourné à leur profit une partie du commerce des épices ; ils entendaient chasser du grand archipel d’Asie ceux qui avaient prétendu leur interdire la vente de ses produits ; ils voulaient déposséder les Portugais et les Espagnols. Politiques habiles autant que navigateurs audacieux, ils prirent pied à Java et aux Moluques, et hardiment attaquèrent les Portugais à Amboine, leur enlevèrent ce point important, puis, redoublant leurs