Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/451

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de la chanson du merle, qu’il pare des qualités d’un merle européen, tandis que le merle d’Amérique n’est pas un chanteur. Lowell a, du reste, fait une fois la même faute, volontaire sans doute car il possède merveilleusement la faune et la flore de son pays. Le panthéisme de Walt Whitman marche de front avec une connaissance approfondie des sciences naturelles. Celui-là est moins local que les poètes de la Nouvelle-Angleterre, il se tourne davantage du côté de l’ouest ; mais, tout en embrassant parfois l’univers dans ses chants exaltés, il sait être précis et même scrupuleux ; n’a-t-il cherché pendant des années un mot qui pût suggérer l’idée de l’appel du soir modulé par le gosier du rouge-gorge !

En somme, cette critique de Burroughs, critique d’un genre tout particulier et qui paraîtra puéril à quelques-uns, est finalement favorable aux poètes américains ; elle l’est aussi à plusieurs poètes anglais ; si on l’appliquait chez nous, peut-être M. André Theuriet serait-il seul trouvé sans reproche.

Inutile d’ajouter que la précision scientifique n’empêche pas chez le vrai poète l’originalité du sentiment personnel, qui peut, en restant toujours juste, être varié à l’infini. « Le rossignol de Milton n’est pas celui de Coleridge, la pâquerette de Burns n’est pas celle de Wordsworth, l’abeille d’Emerson n’est pas celle de Lowell, la nature est tout à tous, » et voilà pourquoi M. Burroughs ne s’est jamais embarrassé de l’analogie apparente que pouvait offrir son œuvre avec celle de Thoreau ; il sait que le naturaliste et le poète, Darwin comme Tennyson, créent à moitié le monde qu’ils décrivent ; il sait qu’avant qu’un fait ne devienne poésie, il faut qu’il passe à travers le cœur ou l’imagination du poète, de même qu’avant de devenir science, il faut qu’il passe à travers l’entendement du savant ; il n’oublie pas non plus que l’homme ne peut prendre un réel intérêt à la nature que s’il s’y voit reflété, et ce qui se reflète de la personnalité humaine dans ses livres est digne après tout d’être ajouté aux observations d’Emerson et de Thoreau. Pour nous autres du vieux monde, Burroughs est moins inaccessible que Thoreau ; ce n’est pas l’edelweiss, c’est une plante plus facile à rencontrer qui fleurit à mi-côte, entre la solitude et le monde. Jamais il n’eut la fantaisie de se retirer dans une cabane construite de ses mains, bien que ses aïeux eussent eux-mêmes jadis planté leur foyer dans les grands bois ; mais il a exprimé d’une façon charmante le plaisir que l’on éprouve à bâtir une maison pour soi. Tout peut manquer à son architecture, pourvu qu’elle suggère l’idée du repos. Il évitera le toit mansardé, qui ne protège pas suffisamment ; parlez-lui d’un toit immense, s’élevant bien haut comme le flanc d’une montagne et couvrant les gens de même que l’aile d’une poule couvre les