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poussins. Point d’orgueil, point de vanité, de la modestie au contraire, de la sincérité surtout. Ruskin ne donnerait pas d’autres conseils, n’indiquerait pas mieux les significations morales de l’art et la vérité d’expression qu’il en exige.

Ceux qui ont l’haleine un peu courte et le pied paresseux trouveront les promenades avec Burroughs moins fatigantes que les rudes excursions de Thoreau ; il se met plus volontiers à notre pus, il condescend mieux à comprendre nos faiblesses, reconnaissant tout le premier que les paysages américains ne semblent pas suffisamment abordables, qu’ils manquent de sentiers, de chemins de traverse, d’échaliers, de passerelles, de mille commodités qui viennent au secours du piéton d’Europe. Les oiseaux paraissent absens, leur musique, plus plaintive et plus intermittente, se perd dans de trop grands espaces, la population est clair-semée ; la marche exige ici une certaine dose de résolution, elle ne peut tenter que les intrépides ; mais l’auteur de Signs and Seasons ne nous propose rien qui excède nos forces ; il aime à s’asseoir dans les bois ou bien au bord d’une rivière, jusqu’à ce que viennent à lui les choses qui méritent d’être observées ; presque toujours à l’improviste, il nous fait faire quelque découverte, et, en attendant, il cause de tout à bâtons rompus, non pas des horizons lointains ou des grands accidens pittoresques, mais de la fleur ou du caillou qu’il a sous la main, des détails de la vie rustique, des mœurs de ses Voisins d’hiver, le petit hibou du pommier creux, la timide lapine grise cachée sous le plancher de son cabinet de travail, les moineaux, qui ne sont ni aussi hardis ni aussi spirituels que ceux de nos villes. Burroughs n’est pas exclusif à la façon de Thoreau ; moins original assurément, il se montre aussi moins abrupt, moins tranchant, moins obstiné contradicteur. Il n’a pas ces habitudes d’antagonisme qui poussent l’ermite de Walden à faire l’éloge de l’aspect domestique des forêts pendant l’hiver et à comparer les plus arides solitudes à Paris ou à Rome. Il ne nous abasourdit pas à coups de paradoxe. Quoiqu’il place, lui aussi, l’intelligence et la sympathie bien au-dessus du savoir, il sait beaucoup, — peut-être même montre-t-il trop ce qu’il sait en abusant des citations, en faisant continuellement appel au témoignage des Grecs et des Romains. A propos d’un brin d’herbe, d’une goutte d’eau, il évoque Homère et Pindare, Théocrite et Virgile, Pline, Plutarque, Sénèque. Du moins n’affiche-t-il pas le dédain des connaissances classiques dont il se sert, comme fît Thoreau, ce qui donnerait l’idée d’un grain d’affectation chez l’homme le plus sincère peut-être qui ait jamais existé, si l’on ne sentait bien vite qu’il n’y a là qu’un paradoxe de plus, mais un paradoxe irritant à la longue.