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que Floridor, il guérit : l’Église est volée à son tour ; jusqu’à soixante-huit ans, notre homme vengera son ancien. Quel homme, décidément, ce Molé ! En voilà un qui se passait de la Révolution française ! .. Mme Favart montra plus de conscience. Comme elle était à l’extrémité, son mari et son amant, l’abbé de Voisenon, la pressaient de se réconcilier avec Dieu ; elle commença par résister : c’est qu’il lui en coûtait de répudier son art ; il lui en coûtait, à son compte, 15,000 livres de revenu. Mais, l’abbé ayant fait décider que les appointemens de sa maîtresse lui seraient continués, si elle survivait, comme pension de retraite, elle se rendit à ses pieux conseils ; et, ayant signé la déclaration, elle mourut honnêtement. Pour Lekain, voici comment Bachaumont enregistre sa fin chrétienne : « Un Carme est venu nettoyer cette conscience sale, le comédien a fait la renonciation ordinaire, et il a été administré. »

Il faut convenir que dans une conjoncture où les Comédiens purent jouir, en plein XVIIIe siècle, des pompes funèbres ecclésiastiques, ils n’en jouirent pas avec simplicité : soit malice, ambition de revanche, soit naïveté, manque d’habitude, ils firent trop bien les choses. Je parle du service en l’honneur de Crébillon, célébré par leurs soins à Saint-Jean-de-Latran, église de l’ordre de Malte, où l’autorité de l’archevêque ne pénétrait pas. On sait que le décor de cette cérémonie et la mise en scène, les costumes même (le manteau de deuil de Mlle Clairon) et les accessoires (des missels tout neufs, on le croit aisément), l’appareil entier fut splendide. On imagine la colère de l’archevêque, provoquée par cette démonstration ; pour l’apaiser, on conçoit que les puissances de l’Ordre aient condamné le curé de Saint-Jean-de-Latran à trois mois de séminaire. — Trois mois de retraite, c’est précisément la punition qui fut infligée, moins de quarante ans après, au curé de Saint-Roch, pour avoir refusé ses prières à Mlle Chameroi. — N’importe : cette imprudence des comédiens, dont un accès de gratitude envers un auteur était le prétexte, on ne peut nier que ce fût une belle imprudence. Et quand même de pires maladresses auraient compromis leur cause, on ne réprimerait guère un sentiment de révolte contre la sévérité de ce prélat qui, en 1781, après l’incendie de l’Opéra, fit défense, — trop tard, — au curé de Saint-Eustache d’accorder les obsèques chrétiennes à des danseurs : ils étaient morts in flagrante delicto ! .. Flagrante ! On peut absoudre ce dignitaire de l’Église d’un horrible jeu de mots, plus facilement que de sa sentence. Récemment, après un désastre semblable, Notre-Dame a entendu d’autres paroles… Il y fallait je ne sais quelle grave mansuétude, quelle ferme délicatesse ; nous ne pouvions espérer qu’un miracle de tact et de charité : il n’a pas manqué à notre respectueuse attente. Pauvres danseurs d’il y a cent ans,