Page:Revue des Deux Mondes - 1887 - tome 83.djvu/529

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aucune importance. C’étaient, disait-il, de « petites indignités saxonnes, des chipotages du cardinal de Tencin, qui ne méritaient pas un instant d’attention ; une alliance de la France et de l’Autriche serait un bouleversement total pour lequel rien n’était préparé. » Peut-être d’ailleurs, sachant à qui il avait affaire, jugeait-il, non sans raison, qu’un pareil changement de front demandait, pour être exécuté sur place, une promptitude de coup d’œil et de résolution dont personne, dans le conseil de Louis XV, n’était doué. En tout cas, il espérait qu’il en serait quitte pour se rapprocher immédiatement de l’Angleterre, qui lui ouvrirait alors largement les cordons de sa bourse. En attendant, il s’acheminait gaîment vers Berlin pour y goûter quelque temps de repos, mettant en usage la philosophie pratique du proverbe italien : Chi ha tempo ha vita. Il ne songeait même plus au châtiment exemplaire dont il avait à tant de reprises menacé la Saxe. La paix, à ses yeux, était désormais « immanquable. » — « Je vous suis obligé, écrivait-il à Podewils, de m’avoir commandé en Russie une pelisse de renard. Nous aurons à l’avenir plus besoin de la peau du renard que de celle du lion[1]. »

Un homme si sûr de son fait n’était pas en disposition de ménager personne. — « Valori, dit-il à Podewils en recevant la demande de d’Argenson, m’a fait les propositions les plus ridicules qu’il soit possible d’imaginer. Il s’agit de détrôner avec l’électeur palatin le grand-duc. Dieu garde que je m’embarque de ma vie avec d’aussi ingrats amis et d’aussi misérables politiques. » Mais, suivant son usage, sa réponse, au lieu d’être simplement négative, fut donnée en forme d’acceptation conditionnelle, sous une condition dérisoire qui frisait l’impertinence. Il chargea Chambrier de faire savoir à d’Argenson qu’il était prêt à rédiger avec lui toutes les protestations qu’il voudrait, pourvu qu’il fût sûr que la France les appuierait immédiatement par l’envoi de cent mille Français au-delà du Rhin, en marche vers la Saxe ; il demanda de plus qu’on mit à la disposition du ministre de France en Russie une somme suffisante pour gagner les ministres de la tsarine et les empêcher de prendre parti pour l’Autriche. Cette fois, d’Argenson, ne pouvant plus se méprendre, éprouva un accès véritablement plaisant d’irritation et de désespoir. — « Le roi de Prusse, écrit-il dans une note autographe, ne nous demande jamais aucun conseil de conduite, mais des choses rudes, dépensières et impraticables. Donnez-moi 16 millions en quinze jours, que le prince de Conti ait cent

  1. Frédéric à Podewils, à André, à Rothembourg, octobre 1845. — (Pol. Corr. t. IV., p. 301 et suiv.)