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Mais les dessins de Verrocchio ne sont pas rares, malheureusement pour lui; le Louvre, l’École des Beaux-Arts, le musée Wicar, à Lille, les Musées de Londres, de Berlin, de Florence, en contiennent un choix fort varié. Or ces dessins sont d’une facture pauvre et pénible entre toutes (à l’exception du dessin d’un des chevaux de Venise, au musée du Louvre, si toutefois ce dessin est bien de Verrocchio), du style le plus rocailleux et le plus raboteux : il aura fallu toute l’originalité native de Léonard pour tirer parti de ces croquis informes, si tant est que l’enfant de génie ait perdu son temps à les imiter.

J’en dirai autant de ce que l’érudit et systématique auteur de l’Art chrétien, Rio, appelle l’harmonie préétablie entre Verrocchio et Léonard. « Dans aucun des deux, affirme-t-il, l’harmonie n’exclut la force; même admiration pour les chefs-d’œuvre de l’antiquité grecque et romaine, même prédominance des qualités plastiques, même passion pour le fini des détails dans les grandes comme dans les petites compositions, même importance attachée à la perspective et à la géométrie dans leurs rapports avec la peinture, même goût prononcé pour la musique, même penchant à laisser un ouvrage inachevé pour en commencer un autre, et, ce qui est encore plus frappant, même prédilection pour le cheval de bataille, pour le cheval monumental et pour les études qui s’y rapportent.» Mais ces points de contact ne sont-ils pas plutôt dus au hasard qu’à la parenté intellectuelle des deux tempéramens, et plus d’un des argumens invoqués par Rio ne pourrait-il pas être retourné contre lui? Verrocchio est avant tout un esprit limité et un caractère bourgeois ; Léonard, au contraire, personnifie la curiosité inassouvie, les goûts de grand seigneur, la grâce et l’élégance innées. L’un s’élève laborieusement à un idéal supérieur ; l’autre, en venant au monde, a apporté cet idéal avec lui.

Voilà donc Léonard, jusqu’alors si indépendant, astreint à la discipline d’un atelier. Ses premiers efforts, si nous en croyons Vasari, notre unique guide pour cette période de la vie du maître, portèrent sur la sculpture. Il exécuta en terre des bustes représentant des femmes qui rient et des bustes d’enfans, déjà dignes d’un statuaire consommé. Un buste de cette époque, un Christ, entra plus tard dans la collection de Lomazzo, qui y signale une simplicité et une candeur enfantines unies à un caractère de sagesse, d’intelligence et de majesté véritablement divines. Léonard étudiait simultanément l’architecture, esquissait des projets de construction plus pittoresques, nous sommes autorisés à le croire, que pratiques, enfin s’occupait avec ardeur du problème qui le passionna toute sa vie : le mouvement des eaux. Dès cette époque, il préparait un projet de canalisation de l’Arno, de Florence à Pise.

Verrocchio imposa-t-il au débutant le programme que celui-ci