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recommanda lui-même plus tard à ses propres disciples, et qu’il formula comme suit? « Ce que l’apprenti doit apprendre d’abord. Il doit d’abord apprendre la perspective, ensuite les proportions de toutes choses ; ensuite il doit dessiner d’après de bons maîtres, pour s’habituer à donner de bonnes proportions aux membres, puis d’après la nature, pour se rendre compte des principes de ce qu’il a appris. Ensuite il doit regarder quelque temps les œuvres de différens maîtres, et enfin s’habituer à la pratique de l’art. » Aux yeux de Léonard, le dessin d’après l’estampe (ou d’après l’antique?) devait donc précéder le dessin d’après nature. Mais il faut toujours distinguer chez lui le théoricien de l’artiste proprement dit, car jamais maître ne s’est moins piqué de logique, ne s’est moins assujetti à une discipline sévère, je dirai même à un travail régulier et suivi.

Il est probable cependant que Léonard, suivant l’exemple de la jeunesse artiste florentine, étudia d’abord les peintures de Masaccio, dans la chapelle du Carminé. il nous parle du moins en termes émus de ce grand précurseur : Après Giotto, dit-il, l’art retomba, parce que tous imitèrent les peintures toutes faites, et ainsi de siècle en siècle il alla déclinant, jusqu’à ce que Thomas de Florence, surnommé Masaccio, montra par des ouvrages parfaits que ceux qui prennent pour guide au ire chose que la nature, la maîtresse par excellence, se consument en efforts stériles. » L’adolescent remonta-t-il jusqu’à l’étude des peintures de Giotto? On serait tenté de le croire en écoutant ce chaud et vibrant éloge du fondateur de l’école florentine : « Giotto de Florence parut ; il était né dans les montagnes solitaires, habitées seulement par des chèvres et autres animaux semblables ; poussé par la nature vers l’art, il commença de dessiner sur les pierres les attitudes des chèvres confiées à sa garde ; il fit ainsi pour tous les autres animaux de la contrée ; par ses études assidues, il distança non-seulement les maîtres de son temps, mais tous ceux de beaucoup de siècles antérieurs. » (Notons en passant que le témoignage de Léonard vient confirmer sur ce point le récit si touchant, parfois révoqué en doute, que Ghiberti et Vasari nous ont fait des débuts de Giotto.)

Un dessin daté, telle est la seule donnée authentique que nous possédions sur les débuts de Léonard chez Verrocchio. Ce dessin, avec l’inscription : Di di sea Maria della Neve adi 2 d’aghosto 1473, c’est-à-dire jour de Sainte-Marie des Neiges, 2 août 1473, représente un vaste paysage, une plaine resserrée entre des montagnes, dont deux, celles qui la bordent à gauche et à droite, au premier plan, sont presque à pic. Celle de gauche supporte une ville avec des remparts flanqués de tours[1]. Partout des arbres à

  1. On a voulu découvrir dans ce paysage une vue du Rigi, où s’élève effectivement un couvent consacré à sainte Marie des Neiges. Mais M. de Geymüller a objecté avec beaucoup de vraisemblance que les montagnes n’ont pas le caractère alpestre, que les hauteurs du premier plan sont beaucoup moins élevées que le Rigi, enfin que celui-ci n’a jamais contenu sur un de ses versans une ville offrant la plus légère analogie avec celle du dessin de Léonard. Rien ne prouve, d’ailleurs, que Léonard eût franchi les Alpes à cette époque.