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au nord de l’Europe ne reste pas moins ce qu’elle était, pleine de complications et de menaces.

La vérité est que cette situation, sans être encore absolument compromise, semble s’accuser de plus en plus et pourrait d’un instant à l’autre devenir périlleuse. Il n’est point douteux que la Russie poursuit méthodiquement, résolument, sans se laisser émouvoir par le bruit des journaux, ses desseins et ses préparatifs de défense sur la frontière occidentale de l’empire. Elle continue ses armemens, ses approvisionnemens en Pologne ; elle achemine des troupes de toutes armes vers l’ouest sans précipitation et, à ce qu’il semble, sans interruption. Elle agit en puissance qui persiste plus que jamais à désavouer toute intention agressive, mais qui se tient en éveil et ne veut pas être prise au dépourvu. Quelles sont les forces que la Russie a déjà concentrées dans les régions polonaises ? Ce serait assez difficile à dire : elles doivent être, dans tous les cas, proportionnées à l’attitude d’observation et d’attente que le gouvernement du tsar a prise ostensiblement. L’Autriche, à son tour, c’est bien clair, n’est pas restée inactive. Elle y met de la discrétion, elle n’agit pas moins. Elle a déjà pris assurément des mesures militaires, et ce n’est pas sans intention qu’elle a réuni récemment des réserves sous prétexte d’instruction. Les préoccupations sont par instans assez vives à Vienne, elles le sont encore plus à Pesth, où une interpellation parlementaire vient de traduire tout au moins les impressions hongroises. Bref, on ne peut se faire illusion, il y a de part et d’autre des défiances, des dispositions militaires à peine déguisées, une sorte de préparation croissante pour un conflit éventuel. Les apparences restent pacifiques dans les relations des gouvernemens, la réalité est moins rassurante, et ces armemens qui se multiplient n’ont toute leur signification que parce qu’ils répondent à la situation diplomatique la plus compliquée, à une crise dont la Bulgarie est pour le moment le nœud, mais qui s’étend en réalité à tout l’Orient, qui peut s’étendre à l’Europe entière.

Évidemment, l’antagonisme est plus que jamais flagrant et se dessine avec une gravité croissante. D’un côté, la Russie, qui a vu les événemens tourner un peu contre elle depuis le traité de Berlin, qui s’est sentie particulièrement tenue en échec par tout ce qui est arrivé et subsiste encore en Bulgarie, la Russie ne se tient pas pour battue. Elle a temporisé, patienté jusqu’ici, par considération pour la paix de l’Europe ; elle n’a pas renoncé à sa politique traditionnelle, à ses droits ou à ses prétentions de prépondérance, de protectorat dans ces contrées balkaniques qu’elle croit avoir délivrées. Elle attend en grande puissance qui sent sa force et qui ne déguise pas sa volonté de se faire respecter. D’un autre côté, l’Autriche, qui gagne toujours plus par la diplomatie que par les armes, a pris visiblement, depuis quelques années,