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désastreuse? Que dans une question toute pratique, deux pays négociant ensemble défendent pied à pied leurs droits, rien sans doute de plus simple; mais la pire des choses serait assurément de sacrifier les relations commerciales de deux nations liées par tant d’intérêts aux arrière-pensées, aux calculs d’une politique qui, en affectant une indépendance jalouse vis-à-vis de la France, ne ferait que mieux laisser entrevoir sa dépendance vis-à-vis de ceux dont elle rechercherait la protection et les faveurs.

L’Espagne, quoique toujours moins exposée que d’autres pays aux incidens, aux conflits extérieurs, tient à ne pas paraître se désintéresser du mouvement des choses en Europe. Elle vient de publier son « livre rouge, » résumé des plus récentes négociations de sa diplomatie au sujet de l’isthme de Suez et des affaires du Maroc. Elle a voulu aussi, tout dernièrement, rehausser l’éclat de sa représentation extérieure en donnant à ses agens auprès des grandes cours le titre et le caractère d’ambassadeurs. Elle a l’ambition toute naturelle de n’être pas oubliée plus que d’autres. Elle se souvient d’avoir compté dans les temps anciens au congrès de Vienne, et elle voudrait retrouver une place parmi les « grandes puissances. » C’est un désir qui perce assez souvent dans sa diplomatie; mais, évidemment, ce n’est point là ce qu’il y a de plus important, de plus pressant pour elle aujourd’hui; elle n’a aucun intérêt à rechercher les grands rôles diplomatiques et les aventures extérieures, où elle se compromettrait sans profit. Ce n’est point de cela qu’il s’agit pour le moment à Madrid; il s’agit avant tout des affaires du jour, de l’existence du ministère, de la lutte des partis remis en présence depuis quelques semaines devant le parlement, des conflits intimes d’influences, d’une politique intérieure qui ne laisse pas d’être embrouillée, qui a ses incidens, ses péripéties et même encore une fois, à ce qu’il paraît, ses intrigues mystérieuses.

Que se passe-t-il réellement au-delà des Pyrénées ? A ne voir que les apparences, il n’y a sans doute rien d’extraordinaire et surtout de particulièrement menaçant. Le ministère « fusionniste » de M. Sagasta ne semble ni mieux assuré ni beaucoup plus compromis qu’il n’était; il a la force et la faiblesse de la position qu’il a prise entre les partis, de la politique un peu mêlée qu’il s’est faite avec ses projets de réformes libérales et ses intentions conservatrices. Les discussions animées, éloquentes, qui se sont engagées sur les affaires du pays, sur la politique ministérielle, depuis que le parlement est réuni, n’ont pas cessé jusqu’ici d’être mesurées. Les luttes peuvent être vives, sérieuses, elles ne sont pas violentes. Les passions révolutionnaires, les oppositions républicaines, par tactique ou par impuissance, ont visiblement à demi désarmé. On pourrait même dire que, depuis longtemps, la situation de l’Espagne n’avait été ou n’avait paru plus calme. La monarchie n’a jamais été moins contestée, et ce rassurant phénomène