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est dû surtout à l’honnête popularité, à l’autorité morale qu’a su rapidement acquérir la princesse chargée de la régence. La reine Christine, appelée par le deuil le plus cruel, dans les circonstances les plus difficiles, à une position qu’elle n’avait pas prévue, a su du premier coup gagner les Espagnols et inspirer le respect à tous les partis. Elle a réussi tout bonnement par sa droiture, en décourageant les petits complots autour d’elle, en restant dans son rôle constitutionnel de médiatrice bienveillante, en mettant tous ses soins à désarmer les inimitiés par sa loyauté, à ne créer aucune difficulté, aucun embarras à son ministère. La monarchie avec elle est hors de cause : c’est un premier gage de paix. Tout n’est peut-être pas cependant aussi simple qu’on le dirait à Madrid, et dans cette situation même, autour de cette sage reine, ce ne sont ni les luttes d’influences, ni les compétitions de pouvoir, ni les intrigues, ni les incidens quelque peu excentriques, qui manquent. Les incidens, les intrigues se croisent et se succèdent: c’est la vieille originalité de la politique espagnole.

L’autre jour, il y a eu au palais de Madrid de grandes et brillantes réceptions pour la fête du jeune roi Alphonse XIII. C’était jour de « gala. » comme on dit en Espagne. Le président du congrès, M. Martos, qui est un homme de talent, vivement engagé autrefois dans la république, mais loyalement rallié depuis à la monarchie, est allé naturellement, avec la solennité voulue, porter les félicitations de la chambre à la reine, et il a saisi cette occasion d’exposer tout un programme de gouvernement démocratique. La manifestation, quoique favorable d’intention à la politique ministérielle, a pu paraître imprévue. M. Martos a évidemment oublié que ce n’était pas le moment de parler en homme de parti, que, président d’une assemblée où toutes les opinions sont représentées, il devait se borner à exprimer des vœux et des sentimens communs à l’assemblée tout entière, sans se livrer à des polémiques inutiles. La reine Christine a reçu avec une parfaite bonne grâce les complimens, les chaleureuses déclarations de dévoûment au roi enfant, elle n’a pas relevé les allusions politiques, et, pour dire le vrai, c’est elle qui est restée dans son rôle, qui a donné l’exemple du respect des convenances publiques. L’incartade présidentielle a eu son retentissement au congrès, où elle a pu être assez justement signalée comme l’abus d’un privilège de position ; mais ce n’est rien auprès d’un autre incident à demi mystérieux dont la présence de l’ancienne reine Isabelle à Madrid paraît avoir été récemment l’occasion ou le prétexte.

Assurément peu de destinées auront été plus étranges, plus romanesques que celle de cette princesse, qui, après avoir vu son enfance ballottée dans les orages d’une guerre civile, a régné trente-cinq ans, et qui, après avoir été renversée par une révolution, a pu assister à la restauration de son fils, au commencement du règne de son petit-fils,