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maréchal de Richelieu, Voltaire frappe à coups redoublés, ses lettres se succèdent : « Je suis obligé d’importuner mon héros pour des bagatelles académiques, écrit-il au maréchal ; mais on me mande que vous voulez avoir pour confrère un président de Bourgogne, appelé De Brosses ; je vous demande en grâce, monseigneur, de ne me le donner que pour successeur. Il n’attendra pas longtemps, et vous me feriez mourir de chagrin plus tôt qu’il ne faut si vous protégiez cet homme ; » et quelque peu après : « Vous ne connaissez pas le président de Brosses, et moi je le connais pour m’avoir voulu dénoncer. » Presque à la même date, il écrivait à M. de Ruffey, à propos de l’élection de Gaillard : « … J’ai écrit ces lettres en faveur de M. Gaillard avant que j’eusse appris que M. de Brosses voulait être notre confrère. Il nous fera certainement bien de l’honneur à la première occasion. » — Cette occasion ne tarde point à se présenter, et alors Voltaire écrit à D’Alembert : « Voilà donc une quatrième place vacante. Donnez-la à qui vous voudrez ; pourvu que ce ne soit pas au président de Brosses, je suis content. » Puis, dans une nouvelle lettre : « Je passe à Rubicon pour chasser le nasillonneur, délateur et persécuteur, et je déclare que je serai obligé de renoncer à ma place si on lui en donne une. »

Menée avec cet implacable acharnement, la campagne ne pouvait manquer de réussir. Nous l’avons vu, De Brosses se découragea et ne se présenta plus. Alors, avec une magnanimité, une grandeur d’âme dont l’ostentation si naïvement audacieuse nous désarme, Voltaire pardonna au président de Brosses tout le mal qu’il lui avait fait. Il voulut reprendre avec lui un commerce épistolaire, et poussa la sérénité de conscience jusqu’à lui écrire, en novembre 1776 : « Pour moi, à l’âge où je suis, je n’ai d’autre intérêt que celui de mourir dans vos bonnes grâces ! » — On ne peut s’empêcher de dire avec le grand Frédéric se plaignant de Voltaire à Darget : « Je suis indigné que tant d’esprit et de connaissances ne rendent pas les hommes meilleurs. »

Mais n’est-ce pas une consolation pour l’imperfection humaine de voir les plus grands génies sujets à de pareilles défaillances ! — Sainte-Beuve, que je ne puis résister au plaisir de citer encore, tire de tout ceci une autre conclusion bien philosophique ; après avoir rappelé la célèbre lettre de Voltaire à Thiériot : « Le mensonge n’est un vice que quand il fait du mal ; c’est une très grande vertu quand il fait du bien ; mentez, mes amis, mentez. Je vous le rendrai à l’occasion, etc., » l’illustre critique ajoute : « Quand on joue de bonne heure et si gaîment avec le mensonge, il nous devient un instrument trop facile dans toutes nos passions ; la calomnie n’est qu’un mensonge de plus ; c’est une arme qui tente, tout menteur