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« Votre politique, lui dirait-il, conduira la Prusse infailliblement à un complet isolement en Europe. — Nous ne sommes pas aussi isolés que vous le croyez, lui répondait M. de Manteuffel. — Vous avez raison, répliquait le ministre d’Angleterre, j’oubliais que vous étiez les satellites des Russes. »

Les sarcasmes de la diplomatie anglaise n’étaient plus de saison après la virile intervention du roi auprès de son neveu. Le cabinet de Berlin s’était émancipé; il n’était plus le satellite de la Russie. Il l’avait menacée de rappeler son ambassadeur si elle devait repousser les conditions de la paix formulées par la conférence de Vienne. Sa démarche, il est vrai, n’avait pas provoqué la rupture qu’il redoutait. La cour de Pétersbourg s’était montrée accommodante. « Je crois savoir de bonne source, écrivais-je, que le roi a reçu de son neveu une réponse fort affectueuse aux lettres qu’il lui a écrites pour le conjurer d’accepter purement et simplement les propositions autrichiennes. L’empereur Alexandre, loin de formuler les reproches auxquels on s’attendait, a rendu justice aux intentions de Sa Majesté. Il prétend n’avoir cédé qu’à ses instances, qu’il savait inspirées par les meilleures intentions et une sincère amitié. S’il regrette que la force des circonstances lui ait imposé une démarche aussi pressante, il n’oubliera pas les services que la Prusse a rendus à son pays par son attitude sympathique. »

La paix paraissait certaine ; déjà les plénipotentiaires partaient pour Paris. Le comte de Buol fit escale à Francfort, sous le prétexte de voir sa sœur, la baronne de Vrintz, mais, en réalité, pour s’affirmer au siège de la Diète. Le prestige de l’Autriche en Allemagne était grand à cette époque, surtout dans la vieille ville impériale, où les empereurs s’étaient fait couronner. C’était vers Vienne et non vers Berlin que se reportaient les sympathies des gouvernemens et des populations méridionales. La présence du ministre de François-Joseph à Francfort fut un événement; elle donna lieu aussi à un incident diplomatique. Les ministres des affaires étrangères et les ambassadeurs ne sont pas tenus aux premières visites, mais ils font précéder leurs réceptions par l’envoi de cartes. Le comte de Buol négligea de se prêter à cet usage, soit oubli, soit hauteur ; il fit prévenir les délégués à la Diète, y compris le délégué prussien, par le président de l’assemblée fédérale, le comte de Rechberg, qu’il serait charmé de les voir. M. de Bismarck ne répondit pas à cet appel, il le trouvait discourtois ; il n’admettait pas que le représentant de la Prusse pût être confondu avec la plèbe fédérale.

C’est chez lui un parti-pris de ne rien laisser passer aux diplomates autrichiens. C’est ainsi qu’un jour, le comte de Thun l’ayant reçu dans son cabinet sans cesser de fumer, il tira un cigare de sa poche et l’alluma sans façon.