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HEURES DE LECTURE
D’UN CRITIQUE

POPE.

Pope est, après Dryden, le nom le plus illustre de l’époque dite classique en Angleterre; mais je crains fort que cette réputation, déjà près de deux fois séculaire, ne lui soit à désavantage auprès de plus d’un lecteur de l’an de grâce 1888. Cette consécration classique détourne la curiosité au lieu de l’éveiller, et certainement ils sont nombreux ceux qui, s’ils étaient sincères, avoueraient qu’ils n’ont jamais ouvert ses poèmes, soit par crainte d’ennui, soit parce qu’ils croyaient savoir d’avance ce que pouvait contenir une poésie née d’une inspiration secondaire, enfermée dans des cadres de convention, et désormais surannée. J’entends d’ici leurs excuses : qu’avons-nous à faire aujourd’hui de Pope? trop de courans intellectuels ont passé sur nous, et de trop puissans. Cette poésie est refroidie désormais et fait partie de l’histoire littéraire, mais non de la poésie éternellement vivante où chaque génération peut venir puiser à tour de rôle l’enthousiasme et l’amour. Même en admettant qu’elle conserve en tout ou en partie les mérites qui ont fait la célébrité de son auteur, nous n’avons plus les qualités requises pour la goûter librement, puisqu’il faudrait oublier pour cela les sentimens nouveaux par lesquels nos âmes restent ensorcelées, et qui n’y laissent plus de place pour de plus petits et de plus discrets.