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large place. Un exemple des questions qui les ont longtemps passionnés, c’est « le titre de la croix,» les lettres inscrites sur la tête du divin crucifié. L’une de leurs sectes en reçut le nom de titlovtsy. Un parti repoussait les quatre lettres slaves correspondant à l’INRI de nos crucifix latins. Ce titre de « Jésus de Nazareth, roi des Juifs,» donné au Christ par les soldats romains, lui paraissait une dérision sacrilège à laquelle il refusait de s’associer même en apparence, remplaçant l’inscription évangélique par les sigles grecs du nom de Jésus-Christ : ICXC. Après cela, comment s’étonner que l’unique sacrement conservé par eux, le baptême, ait été, chez les sans-prêtres, l’origine de longues querelles et de nombreuses divisions? Les uns l’administraient selon le rite orthodoxe, moins l’onction du saint chrême, qu’ils ne pouvaient plus consacrer; d’autres rebaptisaient les adultes la nuit dans les rivières ; quelques-uns, à la recherche du pur baptême, se baptisaient de leurs propres mains. Quant aux autres sacremens, ils les ont abandonnés faute de sacerdoce, ou ils n’en ont gardé qu’un simulacre. C’est ainsi que certains philippovtsy se confessaient à une image, en présence de leur ancien (starik), qui leur disait, au lieu d’absolution : « Puissent tes péchés t’être pardonnés ! » Chez d’autres sans-prêtres, le confesseur, un homme ou une femme, n’est plus qu’un conseiller.

Ce n’est pas seulement par son attachement aux dehors du culte que la gauche du raskol a été longtemps non moins rétrograde et antilibérale que le parti opposé, c’est, plus encore, par sa manière d’entendre le règne de Satan, par ses vues sur l’état, sur la société, sur la vie en général. C’est parmi ces bezpopovtsy que le fanatisme s’est montré le plus intransigeant. Sans aller jusqu’aux forcenés qui se brûlaient eux-mêmes pour échapper à la domination de l’antéchrist, les principales sectes de la bezpopovstchine ont longtemps professé une crainte de se contaminer tout orientale. Ils considéraient tout contact avec les étrangers à leur doctrine, avec les « nikoniens, » comme une souillure. Les « théodosiens » s’interdisaient de boire ou de manger avec les profanes. Un des reproches qu’ils adressaient à une secte voisine, les pomortsy, c’était d’aller aux mêmes bains et de boire dans le même verre que les autres hommes. Les quarante-cinq règles posées par leurs docteurs au u concile » de Vetka, en 1751, ce que l’on pourrait appeler leurs commandemens de l’église, n’ont, pour la plupart, d’autre objet que de prohiber tout contact impur. Une des règles du code théodosien enjoint de ne consommer les denrées achetées au marché qu’après les avoir purifiées au moyen de certaines formules. Une autre interdit l’entrée des oratoires aux hommes vêtus d’une chemise rouge. Voilà ce qu’étaient, à une époque encore