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peu éloignée, ces radicaux du schisme parmi lesquels s’infiltre aujourd’hui le rationalisme.

À l’ère des fanatiques a succédé l’ère des politiques. La trompette de l’archange tardant à sonner, le juge suprême ne se pressant pas de descendre sur les nuées, il a bien fallu s’accommoder de ce monde de perdition. Comme en Occident, après l’an 1000, on s’est remis à vivre en cherchant un nouveau sens à l’Apocalypse et aux docteurs. Petit aujourd’hui est le nombre des raskolniks qui regardent le souverain comme l’incarnation ou le vicaire de Satan. Les uns expliquent le règne de l’antéchrist d’une façon spirituelle, les autres attendent qu’il se manifeste d’une manière sensible. Ces hommes qui disent la terre tombée sous l’empire de l’enfer sont souvent d’aussi bons sujets que leurs compatriotes qui croient respirer sous le sceptre paternel de Dieu.

Entre les sans-prêtres et l’état, ou mieux, entre les sans-prêtres et la société, reste la question du mariage, de la famille. Pour la bezpopovstchine, qui proclame la perte du sacerdoce, le mariage sacramentel n’existe plus. La disparition du sacrement entraîne-t-elle la suppression absolue du mariage, ou la miséricorde divine et l’intérêt de la société autorisent-ils à suppléer au sacrement perdu ? À ce problème capital on a donné les solutions les plus diverses.

Les uns ont conservé ou restauré l’union conjugale. Le mariage, disent-ils, n’est pas seulement un sacrement, c’est aussi une union civile, nécessaire à la société pour la propagation de l’espèce, et indispensable à la faiblesse de la chair pour éviter la débauche[1]. Ne pouvant faire consacrer leurs noces par un prêtre, ils se contentent de la bénédiction des parens ou du baisement de la croix et de l’évangile en présence de la famille. Selon d’autres, comme certains pomortsy, le sacrement étant abrogé, toute l’essence du mariage est dans le consentement mutuel des deux époux. L’amour, disent quelques-uns, est de nature divine ; c’est à l’union des cœurs de décider de l’union des existences. On est surpris de retrouver, chez de rustiques sectaires, les théories les plus raffinées de tel de nos romanciers sur le droit divin de l’amour et l’assujettissement du mariage au sentiment. Nombre de ces moujiks ont mis en pratique, dans leurs humbles izbas, la troublante utopie du Jacques de George Sand. Maintes babas villageoises ont, comme l’Héloïse d’Abélard, écarté le titre d’épouse, trouvant plus de douceur à ne rien devoir qu’à l’amour.

Ce que repoussent, sous le nom d’union conjugale, la plupart des

  1. K. Nadejdine : Spory bezpopovtsef… o braké. Vladimir, 1877. Cf. J. Nilski : Semeinaïa Jiza v rousskom raskolé.