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qui se frappent de verges dans leurs danses, ou qui se brûlent à la flamme des cierges. C’est à la suite du radénié que vient l’heure des prophéties. Des phrases entrecoupées, souvent insaisissables, des mots incohérens et incompréhensibles, sont accueillis comme des révélations en langues inconnues. Non contens de se procurer des extases, certains khlysty ont des recettes pour se procurer des visions. C’est ainsi que, dans leurs radéniia, ils dansent parfois toute une nuit autour d’une cuve pleine d’eau. Lorsque la salle se remplit de vapeurs et que l’eau de la cuve vient à se troubler, les tourneurs en délire tombent à genoux, s’imaginant voir un nuage sur la cuve et dans ce nuage le Christ, sous la forme d’un jeune homme brillant de lumière. Dans toutes les folies de ce genre, il faut faire la part de l’exaltation réciproque des fanatiques, de la contagion magnétique qui accroît le délire des uns de la démence des autres. Ces assemblées d’hommes et de femmes à la recherche de l’extase suscitent des accidens nerveux, des convulsions, des crises de catalepsie et tous ces phénomènes d’hypnotisme que les âmes simples prennent pour des marques d’inspiration ou de ravissement céleste.

Les hommes de Dieu se divisent en groupes désignés du nom de korabl, c’est-à-dire de navire ou de nef. Cette organisation, analogue à celle des loges maçonniques, est peut-être la raison qui a valu aux khlysty le sobriquet de francs-maçons. Chaque korabl, chaque « nef » comprend les flagellans d’une ville, d’un village, d’une région. Chacune a ses prophètes et ses prophétesses dont les inspirations lui servent de règle. Chacune a d’ordinaire aussi son christ et sa mère de Dieu. Le premier christ des khlysty, Ivan Souslof, avait ainsi sa vierge immaculée. Ces mères de Dieu ou ces prophétesses, les dernières surtout, n’ont pas toujours le charme de la jeunesse ou de la beauté; toutes n’ont pas non plus gardé le célibat. Il y en a de veuves ou de séparées de leurs maris. Pour saintes vierges, certains khlysty aiment à choisir de belles et robustes jeunes filles, qu’ils adorent comme une incarnation de la divinité. Au culte qui leur est rendu, on a parfois voulu reconnaître dans ces bogoroditsy une personnification de la nature et de la force génératrice. On a même voulu les identifier avec la « Terre mère » dont le nom reviendrait dans les hymnes chantées en leur honneur. Il semble que la plupart des « nefs » découvrent leurs saintes vierges plutôt qu’elles ne les choisissent; on les acclame par inspiration. Pour ce rôle, les illuminés prennent de préférence des femmes hystériques prédisposées aux transports de l’extase : une jeune fille sur laquelle agit fortement la danse de leurs radéniia, ou

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  1. Sbornik pravit. Svéd. o rask., t. n, p. 128. fléout.ky. (Lioudi Bojii i Skoptsy.)