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encore une klionsha, une « possédée » qui pousse des cris inconsciens. Des névropathes ne sont-elles pas les saintes ou les prophétesses qui conviennent à de pareilles assemblées?

Tandis que les vieux-croyans sont, depuis Pierre le Grand, confinés dans le peuple, les sectes mystiques, comme les khlysty, ont parfois pénétré dans les hautes classes. D’après les actes officiels, la khlystovstchine aurait, au XVIIIe siècle, compté des adeptes jusque parmi le clergé. Les murs silencieux des couvens orthodoxes semblent avoir entendu secrètement prêcher le baptême de l’Esprit après le baptême de l’eau. Des moines, des nonnes surtout, paraissent avoir ouvert leurs cellules aux fascinantes délices des tournoyans radéniia. Un peu plus tard, sous l’empereur Alexandre Ier, une société de mystiques de ce genre fut découverte, dans une propriété impériale, à Saint-Pétersbourg. Les réunions avaient lieu au palais Michel, sous la direction d’une dame Tatarinof, demeurée célèbre dans les annales du mysticisme russe. Les auteurs favoris de ces khlysty civilisés étaient, dit-on, Mme Guyon et lung Stilling. L’évocation de l’Esprit, la recherche de l’extase, étaient l’objet des conciliabules de la Tatarinof. Les adeptes revendiquaient, eux aussi, le don de prophétie. Pour le provoquer, ils recouraient également à des procédés artificiels, entre autres au mouvement circulaire. Le ministre des cultes d’Alexandre Ier, le prince Galitzyne, a été soupçonné d’avoir honoré de sa présence ces danses extatiques. Pour lui, et pour d’autres peut-être des spectateurs ou des acteurs de ces saintes représentations, ce n’était là sans doute qu’une fantaisie de haut dilettantisme religieux. Comme les flagellans du peuple, ces illuminés de l’aristocratie se donnaient les noms de frères et de sœurs; et ces familières appellations, et la liberté de ces pieuses réunions, et le suave précepte d’amour mutuel, et la douce complicité d’un secret en commun, peuvent avoir été, pour les deux sexes, l’un des attraits de ces mystiques séances.

Au-dessous des zélateurs de l’ascétisme surgirent des communautés aux doctrines impures, au culte sensuel, aux rites obscènes. Les exaltés, qui prétendaient s’élever au-dessus de la nature humaine, ne purent toujours se tenir sur les escarpemens des cimes mystiques ; de l’abrupt sommet de l’illuminisme ils tombèrent en d’étranges chutes. L’inspiration passant par-dessus la morale comme par-dessus le dogme, aux égaremens de l’imagination succédèrent les égaremens de la chair. L’extase fut demandée à la jouissance, et la mysticité alliée à la volupté. Comme certaines nations primitives et certaines religions antiques, des sectaires du XVIIIe et du XIXe siècle semblent avoir attribué, dans leur culte, une place à l’union des sexes. Peut-être faut-il moins voir là une impudeur calculée