Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/227

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faut qu’elle s’enferme dans les faits de la cause. Mais les faits de la cause, toujours particuliers, sont toujours petits, et toujours ou presque toujours indifférens en soi.

Il en est autrement de ceux qui font la matière de l’éloquence politique ou de l’éloquence de la chaire. Sans doute, et tous les jours, on voit discuter dans nos parlemens, comme devant nos tribunaux ou nos cours d’assises, des intérêts aussi dont, l’année prochaine peut-être, et dans vingt-cinq ans à coup sûr, l’opinion ne se souciera guère. Il n’est besoin, pour s’en rendre assuré, que de lire le Journal officiel, ou de feuilleter négligemment la collection du Moniteur. On peut dire, toutefois, que, dans les plus ingrates ou les plus ennuyeuses de ces discussions, il y va presque toujours d’intérêts généraux, ou au moins collectifs; et cela seul, donnant à l’orateur plus de confiance dans la grandeur ou dans la portée de sa cause, donne aussi à son éloquence, — quand il en a, — plus de corps, plus de souffle et plus d’envergure. Pour l’éloquence de la chaire, on me permettra de n’y point insister. Il est trop évident qu’elle fait sa matière des intérêts les plus généraux et les plus durables de l’humanité, de ceux qui ne passent point avec les générations, ou qui survivent aux nations elles-mêmes. Un sermon de saint Jean Chrysostome ou de saint Augustin est aussi vrai, aussi actuel pour nous qu’il pouvait l’être jadis pour les habitans d’Hippone et les fidèles de Constantinople. Un sermon de Bossuet ou de Bourdaloue sur la Mort seront aussi lisibles et aussi profitables dans cent ans, dans mille ans, qu’ils le sont aujourd’hui. De telle sorte que, quand un prédicateur manque parfois d’éloquence, — Et j’en connais plus de ceux-là que des autres, — c’est lui qui manque à sa matière, non pas la matière qui lui fait défaut. Et l’orateur politique lui-même, s’il peut éprouver quelque crainte, c’est bien plutôt de n’être pas, comme l’on dit, à la hauteur de son sujet, que de l’écraser du poids de son éloquence. Car il n’y a pas de « mouvemens » hardis ou passionnés, il n’y a pas de formes de l’éloquence humaine, il n’y a ni souvenirs historiques, ni moyens d’émotions qu’on ne puisse employer dans la cause de la liberté, de la justice, ou de la patrie. Mais l’avocat ne saurait être éloquent sans sortir de son sujet, et ainsi s’exposer au juste reproche d’emphase ou de déclamation.

C’est le danger d’abord de quelques grandes causes qui se rencontrent parmi les petites. Et je n’entends pas sous ce nom de grandes causes, comme l’on pense bien, ces procès de cours d’assises, où je ne vois ordinairement de grand que l’énormité du crime et la faiblesse du jury. Mais je parle de ces causes où se trouvent parfois enveloppés des intérêts plus généraux qu’elles-mêmes. Antoine Lemaistre, jadis, en a plaidé quelques-unes, et depuis lui, Loyseau de Mauléon, par exemple, le défenseur des Calas. Telle est l’affaire de Madeleine