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de Poissy, religieuse carmélite, enlevée par l’apothicaire de l’Hôtel-Dieu de Beaumont, devenue sa femme, et attaquant le testament par lequel Jacques de Poissy, son père, l’avait déshéritée. Et, en effet, il y allait à la fois de deux choses très considérables, l’étendue de l’autorité paternelle et le droit de tester. Telle est encore l’affaire de Louis Marpault, fils de Jean Marpault et de Louise Chapelet, obligé par ses parens, dans sa neuvième année, de vêtir l’habit de cordelier. C’était comme l’envers de la cause précédente. Après l’étendue de l’autorité paternelle, il s’agissait d’en plaider les limites, et après l’abus de la liberté dans une fille, il était question d’en revendiquer l’usage dans un fils. Je n’ai pas besoin de rappeler autrement l’affaire des Calas, et quelles questions s’y trouvaient impliquées, si ce n’est pour dire qu’ayant inspiré d’assez « médiocres mémoires » à Voltaire, cependant ils valent encore mieux que ceux de Loyseau de Mauléon. Ne serait-ce pas que, dans ces grandes causes, les avocats se sentent comme dépaysés? Du moins est-il qu’on les y trouve toujours au-dessus du ton, comme s’ils usaient d’une langue étrangère, ou d’un vocabulaire qui ne leur serait pas habituel. Et, en effet, ils ne sont point chargés de critiquer ou de juger les lois, mais de les interpréter. Cependant toutes ces graves questions ne se discutent qu’autant que l’on s’élève au-dessus des lois positives, que l’on en cherche la réponse ailleurs que dans le Code civil ou le Digeste, et qu’aux qualités enfin d’un avocat on en joint qui ne s’acquièrent pas dans le commerce des jurisconsultes.

Qu’au surplus la déclamation soit l’écueil inévitable de l’éloquence judiciaire, on le sait; elle l’a toujours été, elle le sera toujours ; et le plus grand des avocats lui-même, — c’est Cicéron que je veux dire, — Est plein de ces « fausses beautés. » L’abus de la rhétorique, voilà le défaut des avocats, dans tous les temps et dans tous les pays, parce qu’il leur faut presque toujours surfaire, pour la plaider éloquemment, la cause qu’ils out entreprise. De là tous ces moyens qu’ils emploient tour à tour ou simultanément pour essayer de donner aux choses une importance qu’elles n’ont point; — Et le change aux plaideurs eux-mêmes sur l’intérêt de leurs contestations. Il s’agirait de délibérer sur le destin des empires qu’on n’y mettrait pas plus d’ardeur ou plus de véhémence. De là ces interpellations qu’ils échangent entre eux et ces invectives dont ils accablent la partie adverse. Si leur client doit perdre sa cause, il faut du moins que l’adversaire, en gagnant la sienne, n’en ressente pas une joie sans mélange. De là encore cette emphase habituelle, de là ces éclats de voix, cette mimique intempérante et cette gesticulation exagérée par laquelle le corps parle au corps, pour procurer à l’auditoire la sensation d’une éloquence que le lecteur essaie vainenement de retrouver. Les intérêts sont si petits que, s’il ne lâchait pas lui-même de se faire illusion, l’avocat n’oserait pas les plaider. Et