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LA LÉGENDE DE KRISHNA.

maintenant tu iras avec le roi dans un lieu de pénitence pour expier tes crimes sous la surveillance des brahmanes.

Or, après ces événemens, Krishna, avec le consentement des grands du royaume et du peuple, consacra Ardjouna, son disciple, le plus illustre descendant de la race solaire, comme roi de Madoura. Il donna l’autorité suprême aux brahmanes, qui devinrent les instituteurs des rois. Lui-même demeura le chef des anachorètes, qui formèrent le conseil supérieur des brahmanes. Afin de soustraire ce conseil aux persécutions, il fit bâtir pour eux et pour lui une ville forte au milieu des montagnes, défendue par une haute enceinte et par une population choisie. Elle s’appelait Dwarka. Au centre de cette ville se trouvait le temple des initiés, dont la partie la plus importante était souterrainement cachée[1].


Cependant, lorsque les rois du culte lunaire apprirent qu’un roi du culte solaire était remonté sur le trône de Madoura et que les brahmanes, par lui, allaient devenir les maîtres de l’Inde, ils firent entre eux une ligue puissante pour le renverser. Ardjouna, de son côté, groupa autour de lui tous les rois du culte solaire de la tradition blanche, aryenne, védique. Du fond du temple de Dwarka, Krishna les suivait, les dirigeait. Les deux armées se trouvaient en présence, et la bataille décisive était imminente. Cependant Ardjouna, n’ayant plus son maître auprès de lui, sentait son esprit se troubler et faiblir son courage. Un matin, au point du jour, Krishna apparut devant la tente du roi, son disciple :

— Pourquoi, dit sévèrement le maître, n’as-tu pas commencé le combat qui doit décider si les fils du soleil ou les fils de la lune vont régner sur la terre ?

— Sans toi je ne le puis, dit Ardjouna. Regarde ces deux armées immenses et ces multitudes qui vont s’entre-tuer.

De l’éminence où ils étaient placés, le seigneur des esprits et le

  1. Le Vishnou-pourana, liv. v, ch. xxii et xxi, parle en termes assez transparens de cette ville : « Krishna résolut donc de construire une citadelle où la tribu d’Yadou trouverait un refuge assuré, et qui serait telle que les femmes mêmes pourraient la défendre. La ville de Dwarka était défendue par des remparts élevés, embellie par des jardins et des réservoirs et aussi splendide qu’Amaravati, la cité d’Indra. » Dans cette ville, il planta l’arbre de Parijata, « dont l’odeur suave embaume au loin la terre. Tous ceux qui en approchaient se trouvaient en mesure de se ressouvenir de leur existence antérieure. » Cet arbre est évidemment le symbole de la science divine et de l’initiation, le même que nous retrouvons dans la tradition chaldéenne et qui passa de là dans la genèse hébraïque. Après la mort de Krishna, la ville est submergée, l’arbre remonte au ciel, mais le temple reste. Si tout cela a un sens historique, cela veut dire, pour qui connaît le langage ultrasymbolique et prudent des Indous, qu’un tyran quelconque fit raser la ville, et que l’initiation devint de plus en plus secrète.