Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/323

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
317
LA LÉGENDE DE KRISHNA

âme égale. Ceux qu’ils n’atteignent plus méritent l’immortalité. Ceux qui voient l’essence réelle voient l’éternelle vérité qui domine l’âme et le corps. Sache-le donc, ce qui traverse toutes les choses est au-dessus de la destruction. Personne ne peut détruire l’Inépuisable. Tous ces corps ne dureront pas, tu le sais. Mais les voyans savent aussi que l’âme incarnée est éternelle, indestructible et infinie. C’est pourquoi, va combattre, descendant de Bharat ! Ceux qui croient que l’âme peut tuer ou qu’elle est tuée se trompent également. Elle ne tue ni n’est tuée. Elle n’est pas née et ne meurt pas, et ne peut pas perdre cet être qu’elle a toujours eu. Comme une personne rejette de vieux habits pour en prendre de nouveaux, ainsi l’âme incarnée rejette son corps pour en prendre d’autres. Ni l’épée ne la tranche, ni le feu ne la brûle, ni l’eau ne la mouille, ni l’air ne la sèche. Elle est imperméable et incombustible. Durable, ferme, éternelle, elle traverse tout. Tu ne devrais donc t’inquiéter ni de la naissance, ni de la mort, ô Ardjouna ! Car, pour celui qui naît, la mort est certaine ; et, pour celui qui meurt, la naissance. Regarde ton devoir sans broncher ; car, pour un kchatrya, il n’y a rien de mieux qu’un juste combat. Heureux les guerriers qui trouvent la bataille comme une porte ouverte sur le ciel ! Mais si tu ne veux pas combattre ce juste combat, tu tomberas dans le péché, abandonnant ton devoir et ta renommée. Tous les êtres parleront de ton infamie éternelle, et l’infamie est pire que la mort pour celui qui a été honoré[1].

À ces paroles du maître, Ardjouna fut saisi de honte et sentit rebondir son sang royal avec son courage. Il s’élança sur son char et donna le signal du combat. Alors Krishna dit adieu à son disciple et quitta le champ de bataille, car il était sûr de la victoire des fils du soleil. Cependant Krishna avait compris que, pour faire accepter sa religion des vaincus, il fallait remporter sur leur âme une dernière victoire plus difficile que celle des armes. De même que le saint Vasichta était mort percé d’une flèche pour révéler la vérité suprême à Krishna, de même Krishna devait mourir volontairement sous les traits de son ennemi mortel, pour implanter jusque dans le cœur de ses adversaires la foi qu’il avait prêchée à ses disciples et au monde. Il savait que l’ancien roi de Madoura, loin de faire pénitence, s’était réfugié chez son beau-père Kalayéni, le roi des serpens. Sa haine, toujours excitée par Nysoumba, le faisait suivre par des espions, guettant l’heure propice pour le frapper. Or Krishna

  1. Début du Bhagavadgita.