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avec un éclat singulier, tandis que la plupart des forces intellectuelles restent assez ordinaires. Le don de la musique, qui apparaît comme l’exaltation d’un sens, n’en a-t-il pas offert plus d’un exemple? Le génie des mathématiques, quelquefois accompagné de l’ensemble des plus hautes facultés, n’a-t-il pas aussi paru isolé dans un rayonnement superbe, comme s’il avait arrêté le développement de tout ce qui peut d’ailleurs jaillir de l’esprit? Ici, on n’aurait sans doute pas tort de s’écrier qu’il y a une vocation. Eh bien ! qu’il y ait une vocation, qu’il y ait un entraînement occasionné par les circonstances, comme on en reconnaît presque toujours les premières manifestations dès l’adolescence, il conviendrait, au temps des études classiques, de ne point en entraver le progrès. L’influence du milieu est souvent considérable sur les intelligences ; on ne saurait le nier. Un choc soudain peut allumer une flamme dans quelque jeune esprit. Faute de conditions propres à éveiller les idées, l’intelligence reste endormie.

Quand il importe d’instruire des multitudes d’élèves, on conçoit aisément qu’on néglige de s’inquiéter des exceptions. Cependant, ce sont les exceptions qui dans les genres produisent les hommes supérieurs. Or, comme ce sont de tels hommes qui réalisent les progrès, qui, entre toutes les nationalités, placent ou maintiennent un peuple au rang le plus élevé, il faut craindre de stériliser les germes qui promettent une belle floraison. Que l’on considère la vie des hommes les plus marquans dans les lettres, dans les arts, dans les sciences, on trouve, la plupart du temps, qu’ils ont été dès l’adolescence hantés par un goût particulier, par une idée fixe, par une passion exclusive, soit pour un art, soit pour des problèmes de physique ou de mécanique, soit pour l’histoire ou la stratégie. Refouler chez le jeune homme de quinze à seize ans le goût ou la passion pour une des branches de l’activité de l’esprit, c’est, selon toute probabilité, éteindre une puissance intellectuelle. Que l’écolier, au lieu de pouvoir s’abandonner à son penchant, se trouve, en vue du baccalauréat, obligé de poursuivre des études qui l’obsèdent, il y aurait raison de maudire pareille contrainte, dont l’effet pourrait être regrettable. Le jour où les conditions de l’enseignement secondaire seront réalisées selon notre vœu, les professeurs, mieux placés qu’aujourd’hui pour apprécier la capacité des élèves, auraient le devoir de ne jamais comprimer le penchant qui s’annonce de manière à faire prévoir un réel succès.

Dans le groupe des hommes qui, aux différentes époques, se sont signalés par l’étendue des connaissances ou la hauteur des vues, par l’esprit d’invention ou le caractère grandiose des œuvres, ils sont en nombre, ceux qui n’ont pas reçu l’enseignement ordinaire.