Page:Revue des Deux Mondes - 1888 - tome 87.djvu/358

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ne sont jamais nombreux. Nulle part, il est vrai, autant que pour les productions de l’esprit, ne s’affirment les degrés de la puissance intellectuelle. Néanmoins, ils se manifestent dans toutes les situations. En reconnaissant que, chez tout individu, les aptitudes ont des limites infranchissables, cependant, comme les facultés se développent par l’exercice, on sent de quelle valeur peut être pour la jeunesse la préférence de certaines études.

Dans le monde on parle souvent de vocations ; on dit d’un homme qui a réussi : c’était sa vocation. Si les vocations étaient fréquentes, ceux qui ont mission d’instruire la jeunesse devraient les épier chez les élèves, afin de les découvrir et d’en favoriser l’essor. Tout d’abord, il ne semble pas qu’il y ait lieu de beaucoup s’en préoccuper. Déjà, au collège, les mieux doués sont les premiers dans tous les genres d’étude, et les incapables n’apparaissent dans un rang élevé pour aucun ordre de connaissances. Du sein de la société, là où l’on peut observer les individus dans l’épanouissement d’existences bien remplies, on s’aperçoit tout de suite que le choix d’une carrière a été déterminé par les circonstances, par la nécessité, pour vivre, d’adopter une profession. Il est évident que chacun apporte dans la lutte contre les peines, contre les difficultés, contre les obstacles, une intelligence vaste ou bornée. Tel applique indifféremment son esprit sur les sujets les plus variés , et le résultat atteste toujours une supériorité ; tel n’atteint une valeur sur certains points qu’à la condition de limiter son effort ; les autres dénoncent la médiocrité, la faiblesse intellectuelle, dans les différentes situations. Il arrive que, cédant à une sorte d’étreinte, on se jette dans une voie avec un véritable engouement, avec une extrême passion. L’acharnement que mettent parfois des hommes dans l’accomplissement d’une tâche facultative prend l’apparence d’une vocation. Tout est venu d’un esprit actif qui s’est attaché avec tant de force à une idée que l’idée le mène. Ainsi, il est des personnages dominés au point de croire qu’il y aurait une grave perturbation dans le monde s’ils n’obéissaient à quelque prétendu devoir dont eux seuls ont conscience, s’ils n’entreprenaient tel ouvrage dont personne ne se préoccupe. Des hommes dégagés de toute ambition d’honneur ou de richesse éprouvent presque une honte à la pensée de mourir avant d’avoir livré une œuvre, avant d’avoir réalisé une invention. Ces esclaves d’un sentiment personnel sont conduits par un inévitable phénomène psychique, que détermine l’application longtemps soutenue sur le même sujet. Ils pensent être les bienfaiteurs d’un pays, ils en sont souvent la gloire.

Il n’est pourtant pas impossible qu’une aptitude se manifeste