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Au printemps, les protestans prirent les armes, et Lesdiguières recommença la petite guerre des châteaux, pris et repris, toujours payant de sa personne, à la fois audacieux et rusé, aussi bon pour la charge que pour l’embuscade. La prise et la mort de Montbrun le portèrent au premier rang ; les gens du Haut-Dauphiné le reconnurent pour chef, et leur choix fut ratifié par le maréchal Damville, qui lui envoya les provisions de la charge de capitaine-général des protestans du Dauphiné. Ceux du Bas-Dauphiné voulaient refuser de le reconnaître, mais le prince de Condé, qui revenait d’Allemagne, leur ordonna de le faire, et le roi de Navarre appuya de son côté le choix de Lesdiguières.

Après la paix de Poitiers (1579), la reine mère, étant venue à Grenoble, essaya de rattacher le brave Lesdiguières à son parti, en lui faisant offrir un commandement dans la province, avec le titre de lieutenant du roi au Bas-Dauphiné. Lesdiguières refusa pour ne pas devenir suspect au roi de Navarre et pour conserver les châteaux qu’il occupait et qu’il eût été obligé de rendre. Il chercha des prétextes pour ne pas aller voir la reine à Grenoble, craignant peut-être d’y être arrêté. Il se tenait sur ses gardes en temps de paix, comme en temps de guerre. Il était déjà devenu un si gros personnage qu’un fils lui étant ne en avril 1580, le duc de Savoie et le roi de Navarre désirèrent d’en être le parrain, et l’enfant reçut un nom de chacun d’eux.

On a quelque peine à comprendre aujourd’hui le rôle d’un Lesdiguières, qui écrivait au maréchal de Bellegarde : « Je ne suis que gentilhomme, et l’un des moindres de cette province en temps de paix, » et qui néanmoins n’obéissait plus aux ordres de son souverain, qui occupait encore la ville de Gap, qu’il avait surprise, deux ans auparavant, par une belle matinée de janvier. Il pensait comme Montbrun, qui répondait à ceux qui lui reprochaient d’avoir pillé les bagages du roi: « La guerre et le jeu rendent les hommes égaux. » Il tirait sa force non-seulement de son courage, mais de l’appui des églises; s’il conservait les places qu’il tenait, c’était, disait-il, pour veiller à l’exécution fidèle des édits et des traités de paix.

La reine Catherine n’avait rien obtenu à Grenoble, et se retira à Montluel en Bresse. Elle fit un moment promettre aux chefs des deux partis de vivre bien ensemble, mais la suspension d’armes fut repoussée par Lesdiguières et par d’autres, et le duc de Mayenne fut contraint d’entrer dans le Dauphiné avec une forte armée. La plupart des chefs protestans du Bas-Dauphiné s’étaient séparés de Lesdiguières, à qui ils refusaient d’obéir; on les nommait les désunis. Ils facilitèrent la tâche de Mayenne, qui prit à leur sollicitation Château-Double, Beauvoir et la Mure. Lesdiguières tenta de vains efforts pour faire le secours de ces places, surtout de la dernière, une des