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excitait tout le monde contre lui ; il ne recevait ni argent ni renforts ; les vallées du Piémont se remirent l’une après l’autre sous l’obéissance du duc de Savoie. La prise de Briqueras irrita fortement Lesdiguières ; il se vengea en allant assiéger le fort d’Exilles au cœur de l’hiver. Le duc de Savoie amena un secours, mais il ne put emporter les lignes françaises et fut repoussé avec de grandes pertes. Exilles dut capituler, après un siège d’un mois, entrepris dans les neiges et les glaces. Après cet exploit, Lesdiguières ravitailla Cavours et retourna en Provence, où les affaires étaient toujours embrouillées. Le duc d’Épernon menaçant Salon, qui allait se rendre, il alla jeter un secours dans cette ville, à la barbe de d’Épernon, qu’il attendit un moment dans la Crau, mais qui ne vint pas l’attaquer.

Il fallait empêcher Cavours de suivre le sort de Briqueras : Lesdiguières passa la Durance à gué, à la vue du duc, et, arrivé à Briançon, il apprit que le duc de Savoie était logé en personne devant Cavours, dont le gouverneur commençait à traiter. Il alla droit, avec 1,800 hommes de pied et 600 maîtres, chercher le duc, qui avait 8,000 hommes de pied et 1,200 chevaux. Il lui offrit vainement la bataille, mais ne put le forcer dans ses lignes ni empêcher la capitulation. Sa retraite fut difficile ; le duc le suivit avec toutes ses forces : il espérait prendre en personne celui qu’il appelait le renard du Dauphiné ; mais il n’y réussit point, et Lesdiguières lui échappa. Il reprit le chemin du Dauphiné, très irrité contre le connétable de Montmorency, qui ne lui avait donné aucun secours, ni d’hommes ni d’argent, et qui l’avait empêché de tirer des troupes du Languedoc ; il avait constamment dans ses lettres montré que les vallées du Piémont seraient perdues si on l’abandonnait. Mais il n’était pas d’humeur à jamais abandonner la partie, et il résolut de chasser les troupes du duc du Viennois ; il alla mettre le siège devant Mirebel, château que d’Albigny avait bien fortifié, et le fit capituler le 13 juillet. Avec Ornano, il reprit ensuite les Echelles. Une trêve fut peu après conclue avec le duc de Savoie, qui permit à Lesdiguières d’aller à Lyon pour voir le roi. Il s’y rendit avec Créqui, son gendre, et une grande suite de gentilshommes. « Comme il entrait dans la ville, dit Vidal, par la porte du Rhône, il rencontra inopinément en Bellecour, place prochaine de là, le roy qui courait la bague, et qui, le reconnaissant d’abord (quoy qu’il y eut quinze ans que Lesdiguières ne l’avait veu), picque droit à luy avec un visage tout plein de joye et la lance baissée : « Ha ! vieil huguenot, luy dit-il de bonne grâce, vous en mourrez. » Lesdiguières ayant aussitost mis pied à terre pour lui faire la révérence : « Vous soyez le très bien venu, reprit-il, vous estes celuy de tous mes serviteurs que j’avois le plus envie de voir. »