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Le roi prit soin de ménager un accommodement entre Lesdiguières et le connétable, qui s’étaient brouillés à cause du duc d’Épernon. Il importait au roi de pacifier la Provence, où les factions toujours en lutte ouvraient la porte à l’étranger. Il en donna le gouvernement au duc de Guise; la lieutenance-générale fut laissée à Lesdiguières, avec la promesse de la ville de Sisteron pour son établissement. Les troupes de d’Épernon tenaient encore cette place, mais Lesdiguières s’en empara et réduisit par degrés toute la Provence à l’obéissance. D’Epernon lui-même fit sa paix avec le roi, par l’entremise du connétable. Il fut confirmé dans toutes ses dignités ; son fils eut la survivance des gouvernemens d’Angoumois, de Saintonge, du Périgord et du Limousin, qui lui fut attribuée en compensation de la Provence.

Lesdiguières, laissant cette province pacifiée, put se rendre en cour afin de recevoir les instructions du roi pour une nouvelle campagne contre le duc de Savoie. Dès son retour, il commença ses préparatifs. Le prétexte de la nouvelle guerre était une querelle de droit féodal, qui depuis longtemps divisait les deux pays el qui était relative au marquisat de Saluées. Le duc de Savoie, inquiet, essaya de corrompre le maréchal d’Ornano, qui exerçait la lieutenance en Dauphiné en même temps que Lesdiguières, et en était devenu le rival ; mais le maréchal resta sourd à ces ouvertures. Lesdiguières projetait de se jeter en Savoie par la Maurienne et de s’emparer du Mont-Cenis et du petit Saint-Bernard. Il feignit de vouloir suivre le val d’Oisans pour passer le mont Genèvre, mais se jeta de côté par le col de Vaujany, qui sépare la Savoie du Dauphiné, et mena son armée à Saint Jean-de-Maurienne. Il y arriva le 23 juin ; les jours suivans, il s’empara de toute la Maurienne et chassa don Sancho de Salinas jusqu’au Mont-Cenis. Celui-ci, sans même s’arrêter à Suse, se retira jusqu’à la plaine de Turin. Lesdiguières enleva le château de Saint-Michel et le mit en bon état de défense, puis se dirigea sur Aiguebelle. Après avoir pris cette place, il attaqua les troupes du duc aux environs de Montmélian et eut l’avantage dans plusieurs escarmouches et dans un combat où le duc de Savoie fit donner toutes ses forces. Celui-ci fit retraite vers la vallée du Grésivaudan et se consola de ses mauvais succès en allant bâtir un fort sur les terres du roi ; entreprise inutile, puisqu’à une demi-lieue de là, il avait déjà son château de Montmélian. Lesdiguières, qui logeait au château de Bayard, voyant construire ce fort (que le duc avait nommé fort de Saint-Barthélémy, l’ayant commencé le jour de la fête de ce saint, pour le rendre plus désagréable aux huguenots), disait: « Laissez-les faire, je le prendrai, quand ils l’auront achevé. » Il fit dire au roi, alors occupé au siège d’Amiens, qu’il le prendrait sans canon, sans siège et sans